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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/209

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ouverte, il prétend l’avoir vue, on ne l’en fera pas démordre ; je suis allée le voir, je lui ai parlé. Il m’a même injuriée.

— Oui, c’est peut-être la plus grave déposition contre mon frère, dit Aliocha.

— Quant à la folie de Mitia, elle ne l’a toujours pas quitté, commença Grouchegnka d’un air préoccupé, mystérieux. Sais-tu, Aliocha, il y a longtemps que je voulais te le dire : je vais le voir tous les jours et je suis très perplexe. Dis-moi, qu’en penses-tu : de quoi parle-t-il toujours, à présent ? Je n’y comprenais rien, je pensais que c’était quelque chose de profond, au-dessus de ma portée, à moi, sotte, mais voilà qu’il me parle d’un « petiot » : « Pourquoi est-il pauvre, le petiot ? C’est à cause de lui que je vais maintenant en Sibérie. Je n’ai pas tué, mais il faut que j’aille en Sibérie ! » De quoi s’agit-il, qu’est-ce que ce « petiot » ? Je n’y ai rien compris. Seulement je me suis mise à pleurer, tant il parlait bien ; nous pleurions tous les deux, il m’a embrassée, et a fait sur moi le signe de la croix. Qu’est-ce que cela signifie, Aliocha, quel est ce « petiot » ?

— Rakitine a pris l’habitude de le visiter, répondit Aliocha en souriant. Mais non, cela ne vient pas de Rakitine. Je ne l’ai pas vu hier, j’irai aujourd’hui.

— Non, ce n’est pas Rakitka, c’est Ivan Fiodorovitch qui le tourmente, il va le voir… »

Grouchegnka s’interrompit brusquement. Aliocha la regarda, stupéfait.

« Comment ? Ivan va le voir ? Mitia m’a dit lui-même qu’il n’était jamais venu.

— Eh bien, eh bien ! Voilà comme je suis ! J’ai bavardé, s’écria Grouchegnka, rouge de confusion. Enfin, Aliocha, n’en parle pas ; puisque j’ai commencé, je vais te dire toute la vérité ; Ivan est allé deux fois le voir : la première, aussitôt arrivé de Moscou ; la seconde il y a huit jours. Il a défendu à Mitia d’en parler, il venait en cachette. »

Aliocha demeurait plongé dans ses réflexions. Cette nouvelle l’avait fort impressionné.

« Ivan ne m’a pas parlé de l’affaire de Mitia ; en général, il a très peu causé avec moi ; quand j’allais le voir, il paraissait toujours mécontent, de sorte que je ne vais plus chez lui depuis trois semaines. Hum… s’il l’a vu, il y a huit jours… Il s’est produit, en effet, un changement chez Mitia depuis une semaine…

— Oui, dit vivement Grouchegnka ; ils ont un secret, Mitia lui-même m’en a parlé, et un secret qui le tourmente. Auparavant