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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/21

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on lui demande cher, et voilà un document qui le rend propriétaire, ha ! ha ! »

Mitia éclata d’un rire sec, inattendu, qui surprit Samsonov.

« Comment vous remercier, Kouzma Kouzmitch !

— Il n’y a pas de quoi, répondit Samsonov en inclinant la tête.

— Mais si, vous m’avez sauvé. Oh ! c’est un pressentiment qui m’a amené chez vous !… Donc, allons voir ce pope !

— Inutile de me remercier.

— J’y cours… J’abuse de votre santé… Jamais je n’oublierai le service que vous me rendez, c’est un Russe qui vous le dit, Kouzma Kouzmitch ! »

Mitia voulut saisir la main du vieillard pour la serrer, mais celui-ci eut un mauvais regard. Mitia retira sa main, tout en se reprochant sa méfiance. « Il doit être fatigué… », pensa-t-il.

« C’est pour elle, Kouzma Kouzmitch ! Vous comprenez que c’est pour elle ! » dit-il d’une voix retentissante.

Il s’inclina, fit demi-tour, se hâta vers la sortie à grandes enjambées. Il palpitait d’enthousiasme. « Tout semblait perdu, mais mon ange gardien m’a sauvé, songeait-il. Et si un homme d’affaires comme ce vieillard (quel noble vieillard, quelle prestance ! ) m’a indiqué cette voie… sans doute le succès est assuré. Il n’y a pas une minute à perdre. Je reviendrai cette nuit, mais j’aurai gain de cause. Est-il possible que le vieillard se soit moqué de moi ? »

Ainsi monologuait Mitia en retournant chez lui, et il ne pouvait se figurer les choses autrement : ou c’était un conseil pratique — venant d’un homme expérimenté, qui connaissait ce Liagavi (quel drôle de nom ! ) — ou bien le vieillard s’était moqué de lui ! Hélas ! la dernière hypothèse était la seule vraie. Par la suite, longtemps après le drame, le vieux Samsonov avoua en riant s’être moqué du « capitaine ». Il avait l’esprit malin et ironique, avec des antipathies maladives. Fut-ce l’air enthousiaste du capitaine, la sotte conviction de « ce panier percé » que lui, Samsonov, pouvait prendre au sérieux son « plan » absurde, ou bien un sentiment de jalousie vis-à-vis de Grouchegnka au nom de laquelle cet « écervelé » lui demandait de l’argent, — j’ignore ce qui inspira le vieillard ; mais, lorsque Mitia se tenait devant lui, sentant ses jambes fléchir et s’écriant stupidement qu’il était perdu, il le regarda avec méchanceté et imagina de lui jouer un tour. Après le départ de Mitia, Kouzma Kouzmitch, pâle