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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/231

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y a mêlé vraiment une tristesse « civique ». Il était furieux de se voir congédié. Il grinçait des dents.

— Il s’est déjà vengé, dit Aliocha. Il a écrit un article sur Mme Khokhlakov. »

Et Aliocha lui raconta ce qui avait paru dans le journal les Bruits.

« C’est lui, confirma Mitia en fronçant les sourcils, c’est bien lui ! Ces articles… je sais… combien d’infamie a-t-on déjà écrites, sur Groucha, par exemple !… Et sur Katia, aussi… Hum ! »

Il marcha à travers la chambre d’un air soucieux.

« Frère, je ne puis rester longtemps, dit Aliocha après un silence. Demain est un jour terrible pour toi ! Le jugement de Dieu va s’accomplir ; et je m’étonne qu’au lieu de choses sérieuses tu parles de bagatelles…

— Non, ne t’étonne pas. Dois-je parler de ce chien puant ? De l’assassin ? Assez causé de lui ! Qu’il ne soit plus question de Smerdiakov, ce puant fils d’une puante ! Dieu le châtiera, tu verras ! »

Il s’approcha d’Aliocha, l’embrassa avec émotion. Ses yeux étincelaient.

« Rakitine ne comprendrait pas cela, mais toi, tu comprendras tout : c’est pourquoi je t’attendais avec impatience. Vois-tu, je voulais depuis longtemps te dire bien des choses, dans ces murs dégradés, mais je taisais l’essentiel, le moment ne me paraissant pas encore venu. J’ai attendu la dernière heure pour m’épancher. Frère, j’ai senti naître en moi, depuis mon arrestation, un nouvel être ; un homme nouveau est ressuscité ! Il existait en moi, mais jamais il ne se serait révélé sans le coup de foudre. Qu’est-ce que ça peut me faire de piocher pendant vingt ans dans les mines, ça ne m’effraie pas, mais je crains autre chose, maintenant : que cet homme ressuscité se retire de moi ! On peut trouver aussi dans les mines, chez un forçat et un assassin, un cœur d’homme et s’entendre avec lui, car là-bas aussi on peut aimer, vivre et souffrir ! On peut ranimer le cœur engourdi d’un forçat, le soigner, ramener enfin du repaire à la lumière une âme grande, régénérée par la souffrance, ressusciter un héros ! Il y en a des centaines et nous sommes tous coupables envers eux. Pourquoi ai-je rêvé alors du « petiot », à un tel moment ! C’était une prophétie. J’irai pour le « petiot ». Car tous sont coupables envers tous. Tous sont des « petiots », il y a de grands, et de petits enfants. J’irai pour eux, il faut que quelqu’un se dévoue pour tous. Je n’ai pas tué mon père, mais