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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/258

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dix jours avant le procès, il était allé voir Mitia et lui avait proposé un plan d’évasion, évidemment conçu depuis longtemps. Cette démarche était inspirée en partie par le dépit que lui causait l’insinuation de Smerdiakov que lui, Ivan, avait intérêt à ce que son frère fût accusé, car sa part d’héritage et celle d’Aliocha monteraient de quarante à soixante mille roubles. Il avait décidé d’en sacrifier trente mille pour faire évader Mitia. En revenant de la prison, il était triste et troublé ; il eut soudain l’impression qu’il ne désirait pas seulement cette évasion pour effacer son dépit. « Serait-ce aussi parce que, au fond de mon âme, je suis un assassin ? » s’était-il demandé. Il était vaguement inquiet et ulcéré. Et surtout, durant ce mois, sa fierté avait beaucoup souffert ; mais nous en reparlerons…

Lorsque Ivan Fiodorovitch, après sa conversation avec Aliocha, et déjà à la porte de sa demeure, avait résolu d’aller chez Smerdiakov, il obéissait à une indignation subite qui l’avait saisi. Il se rappela tout à coup que Catherine Ivanovna venait de s’écrier en présence d’Aliocha : « C’est toi, toi seulement, qui m’as persuadée qu’il (c’est-à-dire Mitia) était l’assassin ! » À ce souvenir, Ivan demeura stupéfait ; il ne l’avait jamais assurée de la culpabilité de Mitia ; au contraire, il s’était même soupçonné en sa présence, en revenant de chez Smerdiakov. En revanche, c’est « elle » qui lui avait alors exhibé ce document et démontré la culpabilité de son frère ! Et maintenant elle s’écriait : « Je suis allée moi-même chez Smerdiakov ! » Quand cela ? Ivan n’en savait rien. Elle n’était donc pas bien convaincue. Et qu’avait pu lui dire Smerdiakov ? Il eut un accès de fureur. Il ne comprenait pas comment, une demi-heure auparavant, il avait pu laisser passer ces paroles sans se récrier. Il lâcha le cordon de la sonnette et se rendit chez Smerdiakov. « Je le tuerai peut-être, cette fois ! » songeait-il en chemin.

VIII

Troisième et dernière entrevue avec Smerdiakov

Durant le trajet, un vent âpre s’éleva, le même que le matin, amenant une neige fine, épaisse et sèche. Elle tombait sans adhérer au sol, le vent la faisait tourbillonner et ce fut bientôt une vraie tourmente. Dans la partie de la ville où habitait Smerdiakov, il n’y a presque pas de réverbères. Ivan marchait