Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/27

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une proposition à vous faire… une proposition très avantageuse… précisément à propos du bois. »

L’ivrogne se caressait la barbe d’un air important.

« Non, tu as traité à forfait et tu es un gredin !

— Je vous assure que vous vous trompez ! » hurla Mitia en se tordant les mains.

Le manant se caressait toujours la barbe ; soudain, il cligna de l’œil d’un air rusé.

« Cite-moi une loi qui permette de commettre des vilenies, entends-tu ? Tu es un gredin, comprends-tu ? »

Mitia recula d’un air sombre, il eut « la sensation d’un coup sur le front », comme il le dit par la suite. Ce fut soudain un trait de lumière, il comprit tout. Il demeurait stupide, se demandant comment lui, un homme pourtant sensé, avait pu prendre au sérieux une telle absurdité, s’engager dans une pareille aventure, s’empresser autour de ce Liagavi, lui mouiller la tête… « Cet individu est soûl et se soûlera encore une semaine, à quoi bon attendre ? Et si Samsonov s’était joué de moi ? Et si elle… Mon Dieu, qu’ai-je fait ?… »

Le croquant le regardait et riait dans sa barbe. En d’autres circonstances, Mitia, de colère, eût assommé cet imbécile, mais maintenant, il se sentait faible comme un enfant. Sans dire un mot, il prit son pardessus sur le banc, le revêtit, passa dans l’autre pièce. Il n’y trouva personne et laissa sur la table cinquante kopeks pour la nuitée, la chandelle et le dérangement. En sortant de l’izba, il se trouva en pleine forêt. Il partit à l’aventure, ne se rappelant même pas quelle direction prendre, à droite ou à gauche de l’izba. La veille, dans sa précipitation, il n’avait pas remarqué le chemin. Il n’éprouvait aucun sentiment de vengeance, pas même envers Samsonov, et suivait machinalement l’étroit sentier, « la tête perdue » et sans s’inquiéter où il allait. Le premier enfant venu l’aurait terrassé, tant il était épuisé. Il parvint pourtant à sortir de la forêt : les champs moissonnés et dénudés s’étendaient à perte de vue. « Partout le désespoir, la mort ! » répétait-il en cheminant.

Par bonheur, il rencontra un vieux marchand qu’un voiturier conduisait à la station de Volovia. Ils prirent avec eux Mitia qui avait demandé son chemin. On arriva trois heures après. À Volovia, Mitia commanda des chevaux pour la ville et s’aperçut qu’il mourait de faim. Pendant qu’on attelait, on lui prépara une omelette. Il la dévora, ainsi qu’un gros morceau de pain, du saucisson, et avala trois petits verres d’eau-de-vie. Une fois restauré, il reprit courage et recouvra sa