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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/341

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après environ, a une crise d’ailleurs fort compréhensible. Il faut mentionner ici que, en proie à la peur et à une sorte de désespoir, Smerdiakov, les derniers jours, sentait particulièrement la possibilité d’une crise prochaine, qui se produisait toujours aux heures d’anxiété et de vive émotion. On ne peut pas évidemment deviner le jour et l’heure de ces attaques, mais tout épileptique peut en ressentir les symptômes. Ainsi parle la médecine. Un peu après le départ d’Ivan Fiodorovitch, Smerdiakov, qui se sent abandonné et sans défense, va à la cave pour les besoins du ménage et songe en descendant l’escalier : « Aurai-je ou non une attaque ? si elle allait me prendre maintenant ? » Précisément, cet état d’esprit, cette appréhension, ces questions provoquent le spasme à la gorge, précurseur de la crise ; il dégringole sans connaissance au fond de la cave. On s’ingénie à suspecter cet accident tout naturel, à y voir une indication, une allusion révélant la simulation volontaire de la maladie ! Mais, dans ce cas, on se demande aussitôt : « Pourquoi ? dans quel dessein ? » Je laisse de côté la médecine ; la science ment, dit-on, la science se trompe, les médecins n’ont pas su distinguer la vérité de la simulation ; soit, admettons, mais répondez à cette question : quelle raison avait-il de simuler ? Était-ce pour se faire remarquer à l’avance dans la maison où il préméditait un assassinat ? Voyez-vous, messieurs les jurés, il y avait cinq personnes chez Fiodor Pavlovitch, la nuit du crime : d’abord, le maître de la maison, mais il ne s’est pas tué lui-même, c’est clair ; deuxièmement, son domestique Grigori, mais il a failli être tué ; troisièmement, la femme de Grigori, Marthe Ignatièvna, mais ce serait une honte de la soupçonner. Il reste, par conséquent, deux personnes en cause : l’accusé et Smerdiakov. Mais comme l’accusé affirme que ce n’est pas lui l’assassin, ce doit être Smerdiakov ; il n’y a pas d’autre alternative, car on ne peut soupçonner personne d’autre. Voilà l’explication de cette accusation subtile et extraordinaire contre le malheureux idiot qui s’est suicidé hier ! C’est qu’on n’avait personne sous la main ! S’il avait existé le moindre soupçon contre quelqu’un d’autre, un sixième personnage, je suis sûr que l’accusé lui-même aurait eu honte de charger alors Smerdiakov et eût chargé ce dernier, car il est parfaitement absurde d’accuser Smerdiakov de cet assassinat.

« Messieurs, laissons la psychologie, laissons la médecine, laissons même la logique, consultons les faits, rien que les faits et voyons ce qu’ils nous disent. Smerdiakov a tué, mais