Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/343

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dégringole dans la cave, après avoir « simulé » une attaque d’épilepsie ; pourquoi ? Sans doute pour que le domestique Grigori, qui avait l’intention de se soigner, y renonce peut-être en voyant la maison sans surveillance, et monte la garde. Probablement aussi afin que le maître lui-même, se voyant abandonné et redoutant la venue de son fils, ce qu’il ne cachait pas, redouble de méfiance et de précaution. Surtout enfin pour qu’on le transporte immédiatement, lui Smerdiakov, épuisé par sa crise, de la cuisine où il couchait seul et avait son entrée particulière, à l’autre bout du pavillon, dans la chambre de Grigori et de sa femme, derrière une séparation, comme on faisait toujours quand il avait une attaque, selon les instructions du maître et de la compatissante Marthe Ignatièvna. Là, caché derrière la cloison et pour mieux paraître malade, il commence sans doute à geindre, c’est-à-dire à les réveiller toute la nuit (leur déposition en fait foi), et tout cela afin de se lever plus aisément et de tuer ensuite son maître !

« Mais, dira-t-on, peut-être a-t-il simulé une crise précisément pour détourner les soupçons, et parlé à l’accusé de l’argent et des signaux pour le tenter et le pousser au crime ? Et lorsque l’accusé, après avoir tué, s’est retiré en emportant l’argent et a peut-être fait du bruit et réveillé des témoins, alors, voyez-vous, Smerdiakov se lève et va aussi… eh bien ? que va-t-il faire ? il va assassiner une seconde fois son maître et voler l’argent déjà dérobé. Messieurs, vous voulez rire ? J’ai honte de faire de pareilles suppositions ; pourtant figurez-vous que c’est précisément ce qu’affirme l’accusé : lorsque j’étais déjà parti, dit-il, après avoir abattu Grigori et jeté l’alarme, Smerdiakov s’est levé pour assassiner et voler. Je laisse de côté l’impossibilité pour Smerdiakov de calculer et de prévoir les événements, la venue du fils exaspéré qui se contente de regarder respectueusement par la fenêtre et, connaissant les signaux, se retire et lui abandonne sa proie ! Messieurs, je pose la question sérieusement : À quel moment Smerdiakov a-t-il commis son crime ? Indiquez ce moment, sinon l’accusation tombe.

« Mais peut-être la crise était-elle réelle. Le malade, ayant recouvré ses sens, a entendu un cri, est sorti, et alors ? Il a regardé et s’est dit : si j’allais tuer le maître ? Mais comment a-t-il appris ce qui s’était passé, gisant jusqu’alors sans connaissance ? D’ailleurs, messieurs, la fantaisie même a des limites.

« Soit, diront les gens subtils, mais si les deux étaient