Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/347

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et non Smerdiakov, il n’a pas réfléchi, d’ailleurs il n’avait pas le temps. Il s’enfuit, il entend le cri du domestique qui le rejoint ; celui-ci le saisit, l’arrête, et tombe assommé d’un coup de pilon. L’accusé saute à bas de la palissade, par pitié, affirme-t-il, par compassion, pour voir s’il ne pourrait pas lui venir en aide. Mais était-ce le moment de s’attendrir ? Non ; il est redescendu précisément pour s’assurer si l’unique témoin de son crime vivait encore. Tout autre sentiment, tout autre motif eussent été insolites ! Remarquez qu’il s’empresse autour de Grigori, lui essuie la tête avec son mouchoir, puis, le croyant mort, comme égaré, couvert de sang, il court de nouveau à la maison de sa bien-aimée ; comment n’a-t-il pas songé que dans cet état on l’accuserait aussitôt ? Mais l’accusé lui-même nous assure qu’il n’y a pas pris garde ; on peut l’admettre, c’est très possible, cela arrive toujours aux criminels dans de pareils moments. D’un côté, calcul infernal, absence de raisonnement de l’autre. Mais à cette minute il se demandait seulement où elle était. Dans sa hâte de le savoir, il court chez elle et apprend une nouvelle imprévue, accablante pour lui : elle est partie pour Mokroïé rejoindre son ancien amant, « l’incontesté ».


IX

Psychologie à la vapeur. La troïka emportée. Péroraison.

Hippolyte Kirillovitch avait évidemment choisi la méthode d’exposition rigoureusement historique, affectionnée par tous les orateurs nerveux qui cherchent à dessein des cadres strictement délimités, afin de modérer leur fougue. Parvenu à ce point de son discours, il s’étendit sur le premier amant, « l’incontesté », et formula à ce sujet quelques idées intéressantes. Karamazov, férocement jaloux de tous, s’efface soudain et disparaît devant « l’ancien » et « l’incontesté ». Et c’est d’autant plus étrange qu’auparavant il n’avait presque pas fait attention au nouveau danger qui le menaçait dans la personne de ce rival inattendu. C’est qu’il se le représentait comme lointain, et un homme comme Karamazov ne vit jamais que dans le moment présent. Sans doute même le