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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/357

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— Ils n’ont pas le bras assez long.

— Pourquoi pas assez long ?

— Nous n’avons qu’à fermer Cronstadt et à ne pas leur donner de blé. Où le prendront-ils ?

— Il y en a maintenant en Amérique.

— Jamais de la vie. »

Mais la sonnette se fit entendre, chacun se précipita à sa place. Fétioukovitch prit la parole.


X

La plaidoirie. Une arme à deux tranchants.

Tout se tut aux premiers mots du célèbre avocat, la salle entière avait les yeux sur lui. Il débuta avec une simplicité persuasive, mais sans la moindre suffisance. Aucune prétention à l’éloquence et au pathétique. On eût dit un homme causant dans l’intimité d’un cercle sympathique. Il avait une belle voix, forte, agréable, où résonnaient des notes sincères, ingénues. Mais chacun sentit aussitôt que l’orateur pouvait s’élever au véritable pathétique, « et frapper les cœurs avec une force inconnue ». Il s’exprimait peut-être moins correctement qu’Hippolyte Kirillovitch mais sans longues phrases et avec plus de précision. Une chose déplut aux dames : il se courbait, surtout au début, non pas pour saluer, mais comme pour s’élancer vers son auditoire, son long dos semblait pourvu d’une charnière en son milieu, et capable de former presque un angle droit. Au début, il parla comme à bâtons rompus, sans système, choisissant les faits au hasard, pour en former finalement un tout complet. On aurait pu diviser son discours en deux parties, la première constituant une critique, une réfutation de l’accusation parfois mordante et sarcastique. Mais dans la seconde, il changea de ton et de procédés, s’éleva soudain jusqu’au pathétique ! La salle semblait s’y attendre et frémit d’enthousiasme. Il aborda directement l’affaire, en déclarant que, bien que son activité se déroulât à Pétersbourg, il se rendait souvent en province pour y défendre des accusés dont l’innocence lui paraissait certaine ou probable. « C’est ce qui m’est arrivé cette fois-ci, expliqua-t-il. Rien qu’en lisant les journaux, j’avais dès le début remarqué une circonstance