Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/395

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sentant que si elle ne venait pas, sa douleur serait intolérable. Aliocha comprenait ses sentiments.

« Il paraît que Tryphon Borissytch a presque démoli son auberge, dit fiévreusement Mitia. Il soulève les feuilles des parquets, arrache des planches ; il a démonté toute sa galerie, morceau par morceau, dans l’espoir de trouver un trésor, les quinze cents roubles qu’à en croire le procureur j’aurais cachés là-bas. Sitôt de retour, on dit qu’il s’est mis à l’œuvre. C’est bien fait pour le coquin. Je l’ai appris hier d’un gardien qui est de là-bas.

— Écoute, dit Aliocha, elle viendra, je ne sais quand, peut-être aujourd’hui, ou dans quelques jours, je l’ignore. Mais elle viendra, c’est sûr. »

Mitia tressaillit, il aurait voulu parler, mais garda le silence. Cette nouvelle le bouleversait. On voyait qu’il était anxieux de connaître les détails de la conversation, tout en redoutant de les demander ; un mot cruel ou dédaigneux de Katia eût été pour lui, en ce moment, un coup de poignard.

« Elle m’a dit, entre autres, de tranquilliser ta conscience au sujet de l’évasion. Si Ivan n’est pas guéri à ce moment, c’est elle qui s’en occupera.

— Tu m’en as déjà parlé, fit observer Mitia.

— Et toi, tu l’as déjà répété à Grouchegnka.

— Oui, avoua Mitia, avec un regard timide à son frère. Elle ne viendra que ce soir. Quand je lui ai dit que Katia agissait, elle s’est tue d’abord, les lèvres contractées ; puis elle a murmuré : « Soit ! » Elle a compris que c’était grave. Je n’ai pas osé la questionner. Maintenant elle paraît comprendre que ce n’est pas moi, mais Ivan que Katia aime.

— Vraiment ?

— Peut-être que non. En tout cas, elle ne viendra pas ce matin ; je l’ai chargée d’une commission… Écoute, Ivan est notre esprit supérieur, c’est à lui de vivre, pas à nous. Il guérira.

— Figure-toi que Katia, malgré ses alarmes, ne doute presque pas de sa guérison.

— Alors, c’est qu’elle est persuadée qu’il mourra. C’est la frayeur qui lui inspire cette conviction.

— Ivan est de constitution robuste. Moi aussi, j’ai bon espoir, dit Aliocha non sans appréhension.

— Oui, il guérira. Mais elle a la conviction qu’il mourra. Elle doit beaucoup souffrir. »

Il y eut un silence. Une grave préoccupation tourmentait Mitia.