Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/62

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je ne prendrai pas davantage. Tryphon Borissytch en sera témoin. Pardonnez-moi mes sottes paroles…

— De quoi as-tu peur ? demanda Mitia en le toisant. Eh bien, puisque c’est comme ça, va-t’en au diable ! cria-t-il en lui jetant cinq roubles. Maintenant, Tryphon Borissytch, conduis-moi doucement là où je pourrai voir sans être vu. Où sont-ils ? dans la chambre bleue ? »

Tryphon Borissytch regarda Mitia avec appréhension, mais s’exécuta docilement ; il le mena dans le vestibule, entra dans une salle contiguë à celle où se tenait la compagnie et en retira la bougie. Puis il introduisit Mitia et le plaça dans un coin d’où il pouvait observer à son aise le groupe qui ne le voyait pas. Mais Mitia ne put regarder longtemps ; dès qu’il aperçut Grouchegnka, son cœur se mit à battre, sa vue se troubla. Elle était dans un fauteuil, près de la table. À côté d’elle, sur le canapé, le jeune et beau Kalganov ; elle lui tenait la main et riait, tandis que, sans la regarder, il parlait d’un air dépité à Maximov, assis en face de la jeune femme. Sur le canapé, lui ; sur une chaise, à côté, un autre inconnu. Celui qui se prélassait sur le canapé fumait la pipe ; c’était un petit homme corpulent, large de visage, l’air contrarié. Son compagnon parut à Mitia d’une taille fort élevée ; mais il ne put en voir davantage, le souffle lui manquait. Il ne resta pas une minute, déposa la boîte sur la commode et, le cœur défaillant, entra dans la chambre bleue.

« Aïe ! » gémit Grouchegnka qui l’avait aperçu la première.


VII

Celui d’autrefois

Mitia s’approcha à grands pas de la table.

« Messieurs, commença-t-il à haute voix, mais en bégayant à chaque mot, je… ce n’est rien, n’ayez pas peur ! Ce n’est rien, dit-il en se tournant vers Grouchegnka qui, penchée du côté de Kalganov, se cramponnait à son bras, je… je voyage aussi. Je m’en irai le matin venu. Messieurs, est-ce qu’un voyageur… peut rester avec vous dans cette chambre, jusqu’au matin seulement ? »

Ces dernières paroles s’adressaient au personnage obèse