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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/79

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et le sermonnait, l’empêchant de distribuer comme « alors » aux croquants « des cigares, du vin du Rhin » et, Dieu préserve, de l’argent. Il s’indignait de voir les filles croquer des bonbons, siroter des liqueurs.

« Elles sont pleines de poux, Dmitri Fiodorovitch, si je leur flanquais mon pied quelque part, ce serait encore leur faire honneur. »

Mitia se rappela André et lui fit porter du punch : « Je l’ai offensé tout à l’heure », répétait-il d’une voix attendrie. Kalganov refusa d’abord de boire et le chœur lui déplut beaucoup, mais après avoir absorbé deux verres de champagne, il devint fort gai et trouva tout parfait, les chants comme la musique. Maximov, béat et gris, était collé à ses semelles. Grouchegnka, à qui le vin montait à la tête, désignait Kalganov à Mitia : « Quel gentil garçon ! » Et Mitia courait les embrasser tous les deux. Il pressentait bien des choses ; elle ne lui avait encore rien dit de pareil et retardait le moment des aveux ; parfois seulement, elle lui jetait un regard ardent. Tout à coup, elle le prit par la main, le fit asseoir à côté d’elle.

« Comment es-tu entré tout à l’heure ? J’ai eu si peur ! Tu voulais me céder à lui, hein ? Est-ce vrai ?

— Je ne voulais pas troubler ton bonheur ! »

Mais elle ne l’écoutait pas.

« Eh bien va, amuse-toi, ne pleure pas, je t’appellerai de nouveau. »

Il la quitta, elle se remit à écouter les chansons, à regarder les danses, tout en le suivant des yeux ; au bout d’un quart d’heure, elle le rappela.

« Mets-toi là, raconte-moi comment tu as appris mon départ, qui t’en a informé le premier ? »

Mitia entama un récit incohérent ; parfois, il fronçait les sourcils et s’arrêtait.

« Qu’as-tu ? lui demandait-elle.

— Rien… J’ai laissé là-bas un malade. Pour qu’il guérisse, pour savoir qu’il guérira, je donnerais dix ans de ma vie !

— Laisse-le tranquille, ton malade. Alors tu voulais te tuer demain, nigaud ; pourquoi ? J’aime les écervelés comme toi, murmura-t-elle, la voix un peu pâteuse. Alors tu es prêt à tout pour moi ? Hein ? Et tu voulais vraiment en finir demain ? Attends, je te dirai peut-être un gentil petit mot… pas aujourd’hui, demain. Tu préférerais aujourd’hui ? Non, je ne veux pas… Va t’amuser. »

Une fois, pourtant, elle l’appela d’un air soucieux.