Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/81

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Suivait un vers des plus cyniques, chanté ouvertement et qui faisait fureur parmi les auditeurs. On finissait par le marchand :

« Le marchand demanda aux filles :
M’aimez-vous, m’aimez-vous, les filles ? »

Elles l’aiment beaucoup, car

« Le marchand trafiquera,
Moi, je serai la maîtresse. »

Kalganov se fâcha :

« Mais c’est une chanson toute récente ! Qui diantre la leur a apprise ! Il n’y manque qu’un Juif ou un entrepreneur de chemins de fer : ils l’eussent emporté sur tous les autres ! »

Presque offensé, il déclara qu’il s’ennuyait, s’assit sur le canapé et s’assoupit. Son charmant visage, un peu pâli, reposait sur le coussin.

« Regarde comme il est gentil, dit Grouchegnka à Mitia : je lui ai passé la main dans les cheveux, on dirait du lin… »

Elle se pencha sur lui avec attendrissement et le baisa au front. Kalganov ouvrit aussitôt les yeux, la regarda, se leva, demanda d’un air préoccupé :

« Où est Maximov ?

— Voilà qui il lui faut ! dit Grouchegnka en riant. Reste avec moi une minute. Mitia, va lui chercher son Maximov. »

Celui-ci ne quittait pas les filles, sauf pour aller se verser des liqueurs. Il avait bu deux tasses de chocolat. Il accourut, le nez écarlate, les yeux humides et doux, et déclara qu’il allait danser la « sabotière ».

« Dans mon enfance on m’a enseigné ces danses mondaines…

— Suis-le, Mitia, je le regarderai danser d’ici.

— Moi aussi, je vais le regarder, s’exclama Kalganov, déclinant naïvement l’invitation de Grouchegnka à rester avec elle.

Et tous allèrent voir. Maximov dansa, en effet, mais n’eut guère de succès, sauf auprès de Mitia. Sa danse consistait à sautiller avec force contorsions, les semelles en l’air ; à chaque saut, il frappait sa semelle de la main. Cela déplut à Kalganov, mais Mitia embrassa le danseur.

« Merci. Tu dois être fatigué : veux-tu des bonbons ? un cigare, peut-être ?

— Une cigarette.