Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Mitia, mon chéri, ne t’en va pas, je veux te dire un mot, murmura-t-elle en relevant la tête. Écoute, dis-moi qui j’aime. J’aime quelqu’un ici, qui est-ce ? » Un sourire brilla sur son visage gonflé de pleurs. » À son entrée, mon cœur a défailli. Sotte, voici celui que tu aimes », me dit mon cœur. Tu parus et tout s’illumina. » De qui a-t-il peur ? » pensai-je. Car tu avais peur, tu ne pouvais pas parler. » Ce n’est pas d’eux qu’il a peur, est-ce qu’un homme peut l’effrayer ? C’est de moi, de moi seule. » Car Fénia t’a raconté, nigaud, ce que j’avais crié à Aliocha par la fenêtre : « J’ai aimé Mitia durant une heure et je pars aimer… un autre. » Mitia, comment ai-je pu penser que j’en aimerais un autre après toi ? Me pardonnes-tu, Mitia ? M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? »

Elle se leva, lui mit ses mains aux épaules. Muet de bonheur, il contemplait ses yeux, son sourire ; tout à coup il la prit dans ses bras.

« Tu me pardonnes de t’avoir fait souffrir ? C’est par méchanceté que je vous torturais tous. C’est par méchanceté que j’ai affolé le vieux… Te rappelles-tu le verre que tu as cassé chez moi ? Je m’en suis souvenue, j’en ai fait autant aujourd’hui en buvant à « mon cœur vil ». Mitia, pourquoi ne m’embrasses-tu pas ? Après un baiser, tu me regardes, tu m’écoutes… À quoi bon ? Embrasse-moi plus fort, comme ça. Il ne faut pas aimer à moitié ! Je serai maintenant ton esclave, ton esclave pour la vie ! Il est doux d’être esclave ! Embrasse-moi ! Fais-moi souffrir, fais de moi ce qu’il te plaira… Oh ! il faut me faire souffrir… Arrête, attends, après, pas comme ça. » Et elle le repoussa tout à coup. « Va-t’en, Mitia, je vais boire, je veux m’enivrer, je danserai ivre, je le veux, je le veux. »

Elle se dégagea et sortit. Mitia la suivit en chancelant. » Quoi qu’il arrive, n’importe, je donnerais le monde entier pour cet instant », pensait-il. Grouchegnka but d’un trait un verre de champagne qui l’étourdit. Elle s’assit dans un fauteuil en souriant de bonheur. Ses joues se colorèrent et sa vue se troubla. Son regard passionné fascinait : Kalganov lui-même en subit le charme et s’approcha d’elle.

« As-tu senti quand je t’ai embrassé tout à l’heure, pendant que tu dormais ? murmura-t-elle. Je suis ivre maintenant, et toi ? Pourquoi ne bois-tu pas, Mitia ? J’ai bu, moi…

— Je suis déjà ivre… de toi, et je veux l’être de vin. »

Il but encore un verre et, à sa grande surprise, ce dernier verre le grisa tout à coup, lui qui avait supporté la boisson jusqu’alors. À partir de ce moment, tout tourna autour de lui,