Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/87

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Sans relâcher son étreinte, il s’agenouilla près du lit.

« Bien que tu sois sauvage, je sais que tu es noble… Il faut que nous vivions honnêtement désormais… Soyons honnêtes et bons, ne ressemblons pas aux bêtes… Emmène-moi bien loin, tu entends… Je ne veux pas rester ici, je veux aller loin, loin…

Oui, oui, dit Mitia en l’étreignant, je t’emmènerai, nous partirons… Oh ! je donnerais toute ma vie pour une année avec toi afin de savoir ce qui en est de ce sang.

— Quel sang ?

— Rien, fit Mitia en grinçant des dents. Groucha, tu veux que nous vivions honnêtement, et je suis un voleur. J’ai volé Katka. Ô honte ! ô honte !

— Katka ? cette demoiselle ? Non, tu ne lui as rien pris. Rembourse-la, prends mon argent… Pourquoi cries-tu ? Tout ce qui est à moi est à toi. Qu’importe l’argent ? Nous le gaspillons sans pouvoir nous en empêcher. Nous irons plutôt labourer la terre. Il faut travailler, entends-tu ? Aliocha l’a ordonné. Je ne serai pas ta maîtresse, mais ta femme, ton esclave, je travaillerai pour toi. Nous irons saluer la demoiselle, lui demander pardon, et nous partirons. Si elle refuse, tant pis. Rends-lui son argent et aime-moi… Oublie-la. Si tu l’aimes encore, je l’étranglerai… Je lui crèverai les yeux avec une aiguille…

— C’est toi que j’aime, toi seule, je t’aimerai en Sibérie.

— Pourquoi en Sibérie ? Soit, en Sibérie, si tu veux, qu’importe ?… Nous travaillerons… Il y a de la neige… J’aime voyager sur la neige… J’aime les tintements de la clochette… Entends-tu, en voilà une qui tinte… Où est-ce ? Des voyageurs qui passent… Elle s’est tue. »

Elle ferma les yeux et parut s’endormir. Une clochette, en effet, avait tinté dans le lointain. Mitia pencha la tête sur la poitrine de Grouchegnka. Il ne remarquait pas que le tintement avait cessé et qu’aux chansons et au chahut avait succédé dans la maison un silence de mort. Grouchegnka ouvrit les yeux.

« Qu’y a-t-il ? J’ai dormi ? Ah ! oui, la clochette… J’ai rêvé que je voyageais sur la neige… la clochette tintait et je me suis assoupie. Nous allions tous les deux, loin, loin. Je t’embrassais, je me pressais contre toi, j’avais froid et la neige étincelait… Tu sais, au clair de lune, comme elle étincelle ? Je me croyais ailleurs que sur la terre. Je me réveille avec mon bien-aimé près de moi, comme c’est bon !

— Près de toi » murmura Mitia, en couvrant de baisers la