Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Voilà qui est fait ! fit-elle en se retournant vers Piotr Ilitch. Allez, sauvez son âme. C’est un grand exploit que vous accomplissez. »

Elle fit trois fois sur lui le signe de la croix, et le reconduisit jusqu’au vestibule.

« Que je vous suis reconnaissante ! Vous ne pouvez vous imaginer comme je vous suis reconnaissante d’être venu d’abord me trouver. Comment se fait-il que nous ne nous soyons jamais rencontrés ? Je serai charmée de vous recevoir dorénavant. Je constate avec plaisir que vous remplissez vos devoirs avec une exactitude, une ingéniosité remarquables… Mais on doit vous apprécier, vous comprendre, enfin, et tout ce que je pourrai faire pour, soyez sûr… Oh ! j’aime la jeunesse, j’en suis éprise. Les jeunes gens sont l’espoir de notre malheureuse Russie… Allez, allez !… »

Piotr Ilitch s’était déjà sauvé, sinon elle ne l’aurait pas laissé partir si vite. D’ailleurs, Mme Khokhlakov lui avait produit une impression assez agréable, qui adoucissait même son appréhension de s’être engagé dans une affaire aussi scabreuse. On sait que les goûts sont fort variés. « Et elle n’est pas si âgée, songeait-il avec satisfaction ; au contraire, je l’aurais prise pour sa fille. »

Quant à Mme Khokhlakov, elle était tout bonnement aux anges. « Un tel savoir-faire, une telle précision chez un si jeune homme, avec ses manières et son extérieur. On prétend que les jeunes gens d’aujourd’hui ne sont bons à rien, voilà un exemple, etc. » Si bien qu’elle oublia même « cet affreux événement » ; une fois couchée, elle se rappela vaguement qu’elle avait été « près de la mort » et murmura : « Ah ! c’est affreux, affreux ! » Mais elle s’endormit aussitôt d’un profond sommeil. Je ne me serais d’ailleurs pas étendu sur des détails aussi insignifiants, si cette rencontre singulière du jeune fonctionnaire avec une veuve encore fraîche n’avait influé, par la suite, sur toute la carrière de ce jeune homme méthodique. On s’en souvient même avec étonnement dans notre ville et nous en dirons peut-être un mot en terminant la longue histoire des Frères Karamazov.