Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/109

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terre, ah ! beaucoup ! Ne crois pas que je sois seulement l'homme de plaisirs futile que tout officier se croit obligé d'être. Je ne pense presque, mon frère, qu'à cette humiliation de la condition humaine… Je ne mens pas, et l'humilié par excellence, c'est moi-même !

Pour que de son humiliation, par la force de son âme,
L'homme puisse se relever,
Il faut qu'avec l'antique mère, la Terre,
Il fasse un éternel traité d'alliance.

Mais comment ferai-je ce traité d'alliance avec la terre ? Faut-il que je me fasse moujik ou berger ? Dans mes heures de plus abjecte dégradation, j'ai toujours aimé à relire ces vers où Cérès contemple l'humiliation de notre espèce. Mais jamais ils ne purent me relever de ma propre humiliation, parce que je suis un Karamazov… N'est-ce pas toujours la tête en bas qu'on se précipite ? Et en cela même, je perçois une beauté. Maudit, bas, avili, soit ! Et diable incarné peut-être ! Pourtant, Seigneur, je n'en suis pas moins ton fils, et je t'aime !… Mais assez ! Je pleure… Laisse-moi pleurer. Vois-tu, nous sommes tous des sensuels, nous autres Karamazov. La bête sommeille en toi-même, frère, tout ange que tu sois. Terrible mystère ! Dieu n'a fait que des mystères… Les contradictions se multiplient dans son œuvre. Je ne suis qu'un ignorant ; pourtant, je sais cela, j'y ai beaucoup pensé… La beauté, par exemple ! Souvent un homme de grand cœur et de grande intelligence a la Madone pour premier idéal, et pour dernier Sodome. Mais le plus affreux, c'est d'avoir commencé par Sodome, en portant dans son cœur l'idéale Madone.