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LES FRERES KARAMAZOV. 145

sourcils noirs, de superbes yeux gris d'azur, de très-longs cils : le plus indifférent des hommes, perdu dans la foule, se fût arrêté nécessairement devant ce visage, pour ne pas l'oublier de longtemps. Alioscha s'étonnait surtout de l'enfantine naïveté de la physionomie. Elle avait des regards, des sourires d'enfant. Sous ses ondoiements félins, on sentait un corps puissant et gras. Son cliàle dessinait des épaules pleines, et une forte poitrine de toute jeune femme. Des experts, parmi les amateurs de la beaulé russe, auraient toutefois prédit., en regardant Grou- schegnka, que cette beauté, si fraîche encore, perdrait, aux environs de la trentaine, son harmonie, s'épaissirait, que les traits se fondraient, que la peau du front et des paupières s'écaillerait de rides, deviendrait rêche, que le teint s'altérerait : en un mot, c'était un type accompli de cette beauté trop brève, si fréquente chez nous.

Alioscha restait comme fasciné. Mais pourquoi traînait- elle tant les syllabes? Pourquoi parlait- elle avec tant d'affectation? Ce grasseyement devait paraître aristocra- tique à Grouschegnka . quelque mauvaise habitude qui sentait son origine populacière. Pourtant, Alioscha ne pou- vait concilier ce manque de naturel avec cette expression de gaieté puérile de toute la physionomie, cet éclat des yeux où riait une joie de bébé.

Katherina Ivauovna l'avait fait asseoir en face d'Alios- cha, et l'avait embrassée à plusieurs reprises sur les lèvres.

— Nous nous voyons pour la première fois, Alexey

Fédorovitch, dit-elle joyeusement. Je voulais la connaître

aller chez elle, mais elle est venue elle-même, au premier

appel. Je prévoyais que nous nous entendrions en tout,

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