Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/222

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même question, vue autrement. Et combien de gamins russes passent le temps à agiter ces graves questions ! n’est-ce pas vrai ?

— Oui, pour les véritables Russes, ces questions, certes, sont les plus palpitantes, dit Alioscha avec un sourire doux et pénétrant, et cela est bien.

— Mais, Alioscha, être Russe, ce n’est pas toujours être un homme intelligent. Il n’y a rien de plus sot que cet éternel entretien. Il y a pourtant un certain gamin russe que j’aime beaucoup… Allons, dis toi-même par où il faut commencer. Dieu est-il ?

— Comme tu voudras; commence, si tu veux, « par l’autre bout ». Tu as déjà proclamé hier que Dieu n’existe pas.

— Je voulais te mettre en colère. Comme tes yeux ont étincelé alors ! Mais, aujourd’hui , je a eux te parler très-sérieusement. Je veux me lier avec toi, Ahoscha , car je n’ai pas d’ami, et je voudrais en avoir. Imagine-toi donc que peut-être j’admets Dieu , dit Ivan en riant : n’est-ce pas inattendu, hein ?

— Certes ; mais ne plaisantes-tu pas ?

— C’est hier, chez le starets, qu’on aurait pu me reprocher de plaisanter. Vois-tu , mon cher , il y avait au dix-huitième siècle un vieux pécheur qui a dit : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Et en effet, c’est l’homme qui a inventé Dieu. Cela n’a rien d’étonnant. Ce qui est étonnant , c’est que cette idée de la nécessité de Dieu ait pu entrer dans l’esprit d’un animal féroce et méchant comme l’homme. Car c’est une grande idée, celle-là, grande, touchante, sage et glorieuse. Quant à moi, je