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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/224

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monie éternelle où nous nous fondrons un jour ; je crois à la Parole où tend l’univers, et qui est elle-même Dieu... Suis-je dans la bonne voie, hé? Imagine-toi donc que cet univers de Dieu, dans ses résultats définitifs, je ne l’ad- mets pourtant pas. Je sais qu’il existe , et je ne l’admets pourtant pas. Ce n’est pas Dieu que je n’admets pas, comprends-moi bien , mais le monde qu’il a créé : je ne puis me résoudre à l’admettre. Je suis convaincu comme un enfant que les souffrances disparaîtront ; que la comédie navrante des contradictions humaines disparaîtra comme un piteux mirage, comme l’invention vile d’un vil esprit, petit, atomique, l’esprit d’Euclide; qu’à la fin du monde, au moment où se révélera l’harmonie éternelle , quelque chose de si beau, de si précieux se produira que tous les cœurs en seront épanouis , toutes les indignations cal- mées, tous les crimes rachetés; que cela suffira pour faire pardonner et même justifier tout ce qui est arrivé sur la terre. — Soit! soit! Tout cela se produira, et pourtant je ne l’admets pas , je ne veux pas l’admettre. Que les lignes parallèles se rencontrent et que je les voie de mes yeux se rencontrer, (jue je les voie et (jue je sois forcé de dire : Elles se sont rencontrées ! Pourtant je ne veux pas l’admettre. Voilà ma thèse , Alioscha ; je te parle sérieusement. J’ai commencé exprès notre entretien par des niaiseries, mais je l’ai mené à ma confession : c’est ce que tu voulais, n’est-ce pas ? La question de Dieu ne t’intéressait pas ; tu voulais seulement savoir de quels ail* ments spirituels vivait ton frère aimé. Eh bien, j’ai dit.

Ivan termina sa longue tirade avec une extraordinaire expression pathétique.