Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/229

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— Comme Dieu, alors ?

— Tu sais très-bien placer ton mot, comme dit Polonius dans Hamlet ! Soit , cela me plaît. Mais il est beau , ton Dieu, si l’homme l’a fait à son image! Tu me demandais tout à l’heure pourquoi je disais tout cela? Vois-tu, je suis un dilettante ; je réunis certains détails, tout ce que je trouve dans les journaux et tout ce qu’on me raconte, et cela fait déjà une joHe collection. Eh bien, il n’y a pas mal de turqueries en Europe. Il y avait à Genève un certain Richard, un assassin. Il fut pris, jugé et condamné. C’était un enfant adultérin donné par ses parents à des bergers, et il avait été élevé à la façon des bêtes, sans rien apprendre. Il allait presque nu, se passait souvent de manger ; devenu un peu grand , il vola. Il finit par tuer un vieillard pour le dévaliser. Il fut donc condamné à mort. Ah! on n’est pas sentimental là-bas! Dans la prison, prêtres, congréganistes , dames bienfaisantes s’emparent de lui. On lui apprend à lire et à écrire, on lui explique l’Évangile, et, finalement, il avoue solennellement son crime. Alors il s’adresse au tribunal; il lui écrit qu’il est un monstre, que Dieu l’a illuminé. Tout Genève est en émoi; les bigots, les membres des sociétés charitables se précipitent dans sa prison. On l’embrasse, on l’étreint : Tu es notre frère ! la lumière t’a été révélée ! » Richard pleure. « Oui, la vérité est descendue en moi ! Ma jeunesse a été nourrie des glands des pourceaux. Mais je vais mourir dans le sein de Dieu. » Le dernier jour arrive. Richard, affaibli, recommence à pleurer, et dit : « Voici le plus beau jour de ma vie : je vais à Dieu ! — Oui , crient les prêtres, les juges et les dames charitables; c’est le plus