Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, je l’ai affirmé. Il n’y a pas de vertu s’il n’y a pas d’immortalité.

— Vous êtes heureux, si vous possédez tant de foi, heureux… ou, au contraire, très-malheureux.

— Pourquoi malheureux ? dit Ivan en souriant.

— Parce qu’il est bien probable que vous ne croyez vous-même ni à l’immortalité de l’âme, ni à tout ce que vous avez écrit sur la question ecclésiastique.

— Peut-être avez-vous raison ! Pourtant, je ne plaisantais pas tout à fait, avoua Ivan Fédorovitch en rougissant étrangement.

— Non, vous n’avez pas tout à fait plaisanté, c’est vrai. La question n’est pas encore résolue en vous, et vous souffrez de cette incertitude. Mais le désespéré se plaît souvent à jouer avec son désespoir, — par désespoir peut-être. Vous jouez, en attendant, avec votre désespoir et par désespoir : de là vos articles dans les journaux, vos conversations dans les salons. Mais vous ne croyez pas vous-même à vos raisonnements ; c’est vous qui vous raillez, et la mort dans l’âme. Non, la question n’est pas encore résolue en vous, et c’est votre grand chagrin, car elle veut être résolue, cette question !…

— Mais peut-elle donc l’être ? et peut-elle l’être… par l’affirmative ? reprit Ivan Fédorovitch, continuant de sourire de son sourire indéfinissable.

— Pour vous elle ne peut l’être ? ni par l’affirmative, ni par la négative, vous le savez vous-même ; c’est la tournure particulière de votre âme, c’est le mal spécial dont vous souffrez. Mais remerciez le Créateur qui vous a doué d’une âme d’élite capable d’une pareille souffrance. Rai-