Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/160

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sont des petiots. Il faut que quelqu’un se dévoue pour tous. Je n’ai pas tué mon père, et pourtant j’accepte le châtiment… Ces pensées émanent pour moi de ces murs… Nous ressusciterons à la joie de par notre douleur même, à cette joie sans laquelle l’homme ne peut vivre, à cette joie que Dieu donne comme un privilège. Le bien est proscrit du monde, mais nous cacherons Dieu sous la terre, nous lui ferons un asile souterrain, et nous, les hommes du souterrain, nous chanterons du sein de la terre l’hymne tragique au Dieu de la joie ! et vive la joie de Dieu !

Mitia était pâle, ses lèvres tremblaient, les larmes jaillissaient de ses yeux, il étouffait.

— Non, la vie est pleine, la vie est belle sous la terre aussi ! Tu ne croirais pas, Alexey, à quel point je tiens à la vie, à quel point cette avidité de vivre s’est emparée de moi, ici entre ces murs dénudés ! Qu’est-ce que la souffrance ? Je ne la crains pas, quoiqu’elle puisse être inépuisable. Il me semble que j’ai tant de force en moi qu’il me serait facile de vaincre toutes les souffrances, pourvu que je puisse sans cesse me dire : Je suis ! Je suis si je souffre sous la main du bourreau, j’existe encore… Je ne vois pas le soleil, mais je sais qu’il brille ! C’est déjà la vie, cela, toute la vie. Alioscha, mon chérubin, la philosophie me tue. Au diable ! Le frère Ivan…

— Quoi, le frère Ivan ? interrompit Alioscha. Mitia ne l’entendit pas.

— Vois-tu, auparavant je n’avais pas tous ces doutes, ils fermentaient en moi. C’est précisément pour leur échapper que je me grisais, que je m’enrageais, que je me battais ; c’était pour les faire taire, pour les anéantir. Le