m’être fait enduire de miel salé. J’ai suivi l’ordonnance en pure perte. En désespoir de cause, je m’adresse au comte Mateï, à Milan, il m’envoie une brochure et des globules… Que Dieu lui pardonne ! Enfin, c’est l’extrait de Hoff qui m’a guéri. Je lui ai signé une attestation comme quoi son remède m’avait réussi. Mais voilà bien une autre affaire : pas un journal n’a voulu de mon attestation. « C’est trop réactionnaire, dit-on, personne ne veut plus croire à l’existence du diable. Publiez cela sous le voile de l’anonyme. Mais une attestation anonyme ! » J’ai ri avec les journalistes. « C’est en Dieu, lui ai-je dit, qu’il est réactionnaire de croire : mais moi, je suis le diable ! — C’est vrai, m’ont-ils répondu, pourtant cela ne rentre pas dans notre programme. À titre de nouvelle à la main, si vous voulez… » Cela m’est resté sur la conscience, vois-tu ! Les meilleurs sentiments, et entre autres la reconnaissance, me sont interdits à cause de ma position sociale.
— Encore de la philosophie ! fit Ivan en grinçant des dents.
— Que Dieu m’en garde ! Je me plains, voilà tout. Je suis calomnié. Tu me traites perpétuellement d’imbécile. Ah ! jeune homme ! l’esprit ne fait pas tout ! J’ai reçu de la nature un cœur bon et gai. J’aime à la folie le vaudeville ! Tu me prends peut-être pour un vieux klestakov[1], et pourtant ma destinée n’est pas drôle. Par une inexplicable erreur de la fortune, je suis condamné à nier et je n’en suis pas moins foncièrement bon, très-mal fait pour la négation. « Non, il faut que tu nies ! Sans néga-
- ↑ Klestakov, homme qui se vante à tout propos et finit par croire lui-même aux histoires qu’il invente.