Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/221

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comète, elle est devenue soleil, puis terre. Une série infinie de transformations selon des lois immuables… Et de tout cela résulte un ennui tel qu’il en est inconvenant…

— Eh bien ! eh bien ! Qu’est-ce qui arriva ensuite ?

— Eh bien, aussitôt qu’on lui eut ouvert la porte du paradis, il entra, mais il n’y resta pas deux secondes, montre en main (quoique, selon moi, sa montre ait dû se décomposer en ses éléments premiers durant le voyage), et s’écria que, pour ces deux secondes, il subirait encore un voyage, non pas d’un quatrillion de kilomètres, mais d’un quatrillion de quatrillions au quatrillionnième degré. Et il chanta : Hosanna ! Mais il chanta trop… Je te le répète, c’est une légende : je te la donne pour ce qu’elle m’a coûté. Tu peux voir par là les idées qui ont cours chez nous.

— Je te tiens ! s’écria Ivan avec une joie enfantine, comme s’il se rappelait subitement quelque chose. C’est moi-même qui ai inventé cette histoire du quatrillion de kilomètres ! J’avais alors dix-sept ans et j’étais au gymnase. Je l’ai contée à un de mes camarades. Elle est très-caractéristique ; je l’avais oubliée, mais je me la suis rappelée inconsciemment, ce n’est pas toi qui me l’as dite… Tu n’es donc décidément qu’un rêve.

— La fougue même que tu mets à me nier me prouve que malgré tout tu crois en moi, dit le gentleman avec gaieté.

— Pas du tout ! Je n’ai pas un centième de fraction de croyance en toi !

— Et un millième ? Les doses homœpathiques sont souvent les plus fortes. Avoue que tu crois en moi au moins au dix-millième.