Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/228

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il aimera ses frères sans exiger de retour. L’amour cherchera sa satisfaction dans cette vie passagère et le sentiment même de la brièveté compensera en intensité les jouissances disséminées dans les espérances illimitées d’un amour d’outre-tombe… » Et ainsi de suite, ainsi de suite… C’est charmant.

Ivan se bouchait les oreilles de ses deux mains, regardant la terre et tremblant de tout son corps. La voix continuait :

— La question gît en ceci, pensait mon jeune rêveur : Est-il possible que cette époque vienne jamais ? Si elle vient, tout est décidé, l’humanité sera définitivement ordonnée. Mais comme, vu la bêtise innée de l’espèce humaine, il se peut que rien de tout cela n’arrive avant mille ans, il est permis à ceux qui ont la conscience de cette vérité d’ordonner leur vie selon ces principes nouveaux : dans ce sens tout est permis. Plus encore : si cette époque ne doit jamais arriver, comme Dieu et l’immortalité n’existent pas, il est permis à l’homme qui se règle selon les principes nouveaux de devenir l’homme-dieu, fût-il seul dans l’univers à vivre ainsi. Il pourrait, dès lors, d’un cœur léger, franchir tous les obstacles de la morale ancienne qui réduisait l’homme en esclavage. Pour Dieu il n’y a pas de lois ! Dieu est partout à sa place ! Tout est permis, ce mot résume toute la loi. Tout ça est très-charmant : seulement, pour tricher, quel besoin a-t-on de la sanction de la vérité ? Mais tel est notre Russe contemporain : il ne peut tricher sans la sanction de la vérité, tant il l’aime, cette VÉRITÉ…

L’hôte était entraîné par sa propre éloquence. Il haussait