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« Seul ! seul ! Si elle était ici, il aurait un autre visage. »

Chose étrange, son cœur fut tout à coup agité de dépit parce qu’elle n’était pas là.

« Non pas parce qu’elle n’est pas ici, se répondait-il à lui-même, mais parce que je ne sais pas sûrement si elle y est ou non. »

Mitia se rappela dans la suite que son esprit était, en cet instant, extraordinairement lucide et qu’il réfléchissait aux plus menus détails.

« Est-elle ici, enfin, oui ou non ? »

Il se décida tout à coup à frapper doucement à la fenêtre. C’était le signal convenu entre le vieillard et Smerdiakov : les deux premiers coups lentement, les trois autres plus vite, toc, toc, toc… cela signifiait que Grouschegnka était arrivée. Le vieux tressaillit, leva vivement la tête, bondit vers la fenêtre. Mitia se jeta en arrière. Fédor Pavlovitch ouvrit la fenêtre et avança la tête dans le jardin.

— Grouschegnka ! c’est toi ! est-ce toi enfin ? fit-il très-bas d’une voix tremblante. Où es-tu, ma petite mère ? mon cher petit ange, où es-tu ?

« Seul ! »

— Où es-tu donc ? reprit le vieux en élevant la voix et en se penchant au dehors pour regarder de tous côtés. Viens ici, je t’ai préparé un cadeau, viens le voir !

« Le paquet de trois mille roubles… »

— Mais où es-tu donc ? où es-tu donc ? À la porte, peut-être ? Je vais te l’ouvrir tout de suite.

Fédor Pavlovitch se penchait, au risque de tomber, et regardait vers la porte qui menait au jardin.

Il allait évidemment courir ouvrir la porte sans attendre