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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/279

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d’anormal ne se serait passé. Ce n’est pas dans son propre domicile, c’est chez elle qu’il a pris le pilon qui a tant servi à l’échafaudage psychologique que vous savez. Pourtant, si ce pilon n’avait pas été à la portée de sa main, il serait parti sans arme. Quelle preuve de préméditation veut-on donc voir ici ? Quant à ces projets d’assassinat qu’il vociférait dans les traktirs, ils me semblent précisément établir l’absence de préméditation : car, et non même par calcul, mais par pur instinct, ceux qui projettent un crime se gardent d’en parler. Que de fois avons-nous entendu deux ivrognes, au sortir du cabaret, se menacer de mort l’un l’autre ! Pourtant ils ne se tuent pas. Cette fatale lettre, est-ce autre chose que ce cri d’ivrogne ? Elle est ridicule, cette lettre, et voilà tout ! Mais le père de l’accusé a été assassiné, l’accusé lui-même a été vu pendant cette même nuit dans le jardin de son père : par conséquent, tout s’est passé comme il l’avait lui-même annoncé. « Puisqu’il était dans le jardin, donc il a tué. » Toute l’accusation est dans ces deux mots : puisque et donc. Et si ce donc n’avait pas raison d’être ? Oh ! je conviens que l’ensemble des circonstances est accablant. Mais examinez les faits en détail, sans vous laisser aveugler par cet ensemble. Pourquoi, par exemple, l’accusation ne veut-elle pas croire à la véracité de mon client quand il déclare s’être enfui en voyant apparaître son père ? »

Le défenseur établit longuement qu’il était en effet très-vraisemblable que l’accusé fût parti après avoir constaté que Grouschegnka n’était pas là.

« Mais alors qui a tué ? Je conviens que ce n’est ni