Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/327

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des moines. On raille leurs jeûnes et leurs prières. C’est dans ces mortifications pourtant que consiste la vraie liberté. Je refrène mes désirs, j’humilie mon indépendance, je mortifie ma chair, et c’est par là que j’arrive à la liberté de l’esprit et à la joie spirituelle. Qui donc sera, plus que ce libre et ce joyeux, capable de porter la grande pensée et de la servir ? Compare au riche ce libéré de la tyrannie des choses et des habitudes. On reproche au moine son isolement : « Tu fais ton salut entre les quatre murs de ton monastère, et les devoirs mutuels de l’humanité, tu les oublies ! » Ah ! l’isolement n’est pas chez nous, il est chez les riches égoïstes et corrompus, il est chez les pauvres vicieux et malheureux. C’est de nous autres que sortira le libérateur du peuple, et ce sont ces mêmes moines, fortifiés de jeûne, de prière et de silence, qui se lèveront pour la grande cause. Je te le répète, c’est dans le peuple qu’est le salut de la Russie, et le moine russe fut toujours en communion avec le peuple. Il a nos croyances, et nul sans ces mêmes croyances n’obtiendra jamais d’influence sur lui. Le peuple vaincra l’athéisme, et quand le peuple aura triomphé, nous n’aurons plus qu’une seule Église orthodoxe. Gardez donc le peuple, moines, veillez sur son cœur, élevez lentement son esprit, voilà votre mission actuelle. Elle est toute de douceur, car la force est avec les doux, avec les charitables. En Europe, le peuple s’insurge violemment contre les riches ; les démagogues le mènent au carnage et lui enseignent que sa colère est juste. Maudite soit cette colère, car elle est cruelle ! Oh ! Alexey, serait-ce donc un rêve que l’homme à la fin pût prendre sa joie dans les exploits pacifiques d’une science non plus négatrice et dans