Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/331

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une justice humaine et il y a une justice divine. Quand la première se trompe, elle est quelquefois réformée par la seconde, qui ne dédaigne pas d’employer pour cette grande œuvre de faibles instruments comme moi. Mais une fois cette correction divine accomplie, ce qui ne peut jamais se faire sans une violation de l’ordre public, il faut que cette violation même soit punie ou pardonnée. Je ne veux point avoir fait aux juges russes une gratuite injure. J’ai pris la place de mon frère qu’ils avaient condamné injustement ; mais ce faisant, j’ai moi-même commis une injustice, car les arrêts de nos juges sont vénérables jusque dans leurs erreurs. D’ailleurs, je n’ai pu, comme je l’espérais, sauver Mitia sans compromettre ses gardiens. Enfin, s’il n’était coupable en fait, Mitia l’était en pensée ; si donc je suis condamné, j’expierai sa pensée et mon action.

— Mais c’est une folie ! vous avez l’âme trop grande, Alexey, vous êtes trop nécessaire à notre pauvre pays, vous n’avez pas le droit de vous sacrifier si légèrement !

Alioscha haussa les épaules avec impatience.

— Pardon, Katherina Ivanovna, mais comment ne comprenez-vous pas que je ne puis être utile que si je suis irréprochable ? fit-il avec une voix extraordinairement vibrante. Pour conduire les hommes au bien, il faut avoir le droit de les guider, il ne faut pas qu’on puisse dire d’Alexey Karamazov : « Ce moine est un voleur ! » Car j’aurai volé la liberté de mon frère tant qu’on ne me l’aura pas accordée par le pardon ou rendue par le châtiment. D’ailleurs, je me défendrai, mais n’appelez personne. Katherina Ivanovna, je me défendrai moi-même, je sais ce que je dirai…