Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/337

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liberté, de m’acquitter, parce que, et seulement pour cela, Dmitri Fédorovitch Karamazov est innocent — du moins en fait. Il vous a déclaré lui-même qu’il avait eu le désir de tuer. Certes, l’intention équivaut à l’action. Pourtant, les secrets désirs vous échappent. Vous n’avez pas le droit de les poursuivre dans les mystérieuses retraites du cœur. Et d’ailleurs, dans les grandes âmes, de tels désirs sont suivis, presque autant que les actions, de remords qui les châtient. Mon frère échappe au bagne, mais il reste emprisonné dans sa conscience. Toutefois, puisque le désir a été révélé, ce châtiment invisible du remords serait peut-être insuffisant. Il faut une peine publique au criminel désir public. Vos codes n’ont point édicté de peines contre de tels crimes intimes, eh bien, messieurs, faites justice ! Vous ne pouvez point me punir d’un meurtre dont vous ne songez pas à m’accuser, mais par le fait même, et même indépendamment de votre volonté, en me punissant, si vous me punissez, ce sera la mauvaise pensée de mon frère que vous aurez poursuivie. Car, sachez-le, je me suis constitué votre prisonnier, seulement parce que je me suis souvenu d’avoir entendu mon frère accompagner de menaces de mort le nom de mon père. Non pas que je croie qu’il aurait jamais pu exécuter ses menaces ; mais ces menaces sont un crime et un scandale — expiés du reste peut-être déjà par l’humiliation d’une injuste condamnation. Ainsi, diversement, tous les coupables ont été châtiés : mon frère Ivan, de ses erreurs purement spirituelles, par l’égarement — momentané, plaise à Dieu ! — de son esprit ; l’assassin, de mort ; et mon frère Dmitri, par une sorte de dégradation morale. J’estime donc que votre jus-