Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/72

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fond, tu es triste. Sois gai, pour que je rie… Qui est-ce que j’aime ? Devine, qui ?…

Mitia avait la tête en feu. Il alla sur le balcon. L’air frais le calma. Seul dans l’obscurité, il saisit sa tête entre ses mains. Les pensées éparses se groupèrent tout à coup et la lumière jaillit dans son esprit. Quelle terrible lumière !

— Si je me tuais ? pensa-t-il. Quand me tuerai-je, si ce n’est maintenant.

Il restait indécis. Tout à l’heure, en venant à Mokroïe, il laissait derrière lui la honte, le vol, le sang, — et ce sang ! Mais il se sentait mieux que maintenant, beaucoup mieux. Tout était fini, Grouschegnka à un autre, perdue pour lui. Il lui avait été facile de prendre un parti, car que lui restait-il désormais ? Mais maintenant ce fantôme terrible, cet homme fatal, l’ancien amant de Grouschegnka était loin ; il s’était transformé en un être ridicule, grotesque, enfermé comme un enfant dans le cabinet noir. Et pourtant… « quel est celui qu’elle aime » ? Ah ! ce serait le moment de vivre, et c’est impossible ! malédiction ! « Seigneur, ressuscite celui qui gît là-bas, près de la haie : épargne-moi cette coupe amère ! Tu peux accomplir des miracles, Seigneur ! et c’est pour des pécheurs comme moi que tu daignes en accomplir. Si le vieillard vit encore, oh ! alors, je me laverai moi-même de mes autres hontes, je rendrai l’argent volé, je le trouverai dessous terre ! Cet opprobre n’aura laissé de traces qu’au fond de mon cœur ! Mais non, mais non, c’est un rêve impossible ! Ô malédiction !

Une espérance brillait pourtant parmi tant de ténèbres. Il se rejeta dans la chambre, vers elle, vers sa reine pour