Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 2.djvu/92

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— Écrivez, messieurs ! Je me rends très-bien compte que c’est encore une charge contre moi, mais cela m’est égal. Je m’accuse moi-même, entendez-vous ? moi-même… Voyez-vous, messieurs, je crois que vous vous méprenez à mon égard ; vous me croyez un tout autre homme que je ne suis. Je vous parle loyalement, noblement, en homme qui a fait une foule de bassesses, mais qui resta toujours un être noble, intérieurement, au fond de lui-même… en un mot… je ne sais comment m’exprimer… J’ai souffert toute ma vie de cette soif de noblesse. J’étais le martyr de cet idéal ; je le recherchais avec une lanterne de Diogène, et pourtant je n’ai fait que des bassesses, comme nous tous, messieurs… C’est-à-dire, non, je me trompe… il n’y a que moi de tel !… Messieurs, j’ai mal à la tête… Son physique me faisait horreur… quelque chose de malhonnête, d’effronté… Il souillait toutes choses… bouffonnerie perpétuelle, cynisme… dégoûtant ! Mais maintenant qu’il est mort, je pense autrement.

— Comment cela, autrement ?

— C’est-à-dire pas autrement, mais je regrette de l’avoir tant détesté.

— Vous avez des remords ?

— Non, je ne dirai pas des remords, n’insinuez pas cela… Je ne suis pas bon moi-même, messieurs, ni bien joli, et je n’avais donc pas le droit de lui en vouloir pour sa laideur et sa méchanceté… Cela, inscrivez-le si vous voulez.

À mesure qu’il parlait, Mitia devenait de plus en plus morne. Mais tout à coup Grouschegnka, qu’on avait éloignée et que gardait un moujik à plaque de cuivre, bous-