Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chemin. Je ne voulais pas en rester là. Je voulais porter témoignage contre lui devant Barbara Pétrovna.

Qu’avec sa facilité à croire le mal il eût simplement ajouté foi aux propos d’une mauvaise langue, je le lui aurais encore pardonné, mais non, il était clair maintenant que lui-même avait eu cette idée longtemps avant l’arrivée de Lipoutine : ce dernier n’avait fait que confirmer des soupçons antérieurs et verser de l’huile sur le feu. Dès le premier jour, sans motif aucun, avant même les prétendues raisons fournies par Lipoutine, Stépan Trophimovitch n’avait pas hésité à incriminer _in petto_ la conduite de Dacha. Il ne s’expliquait les agissements despotiques de Barbara Pétrovna que par son désir ardent d’effacer au plus tôt les peccadilles aristocratiques de son inappréciable Nicolas en mariant la jeune fille à un homme respectable ! Je voulais absolument qu’il fût puni d’une telle supposition.

— Ô Dieu qui est si grand et si bon ! Oh ! qui me rendra la tranquillité ? soupira-t-il en s’arrêtant tout à coup après avoir fait une centaine de pas.

— Rentrez immédiatement chez vous, et je vous expliquerai tout ! criai-je en lui faisant faire demi-tour dans la direction de sa demeure.

— C’est lui ! Stépan Trophimovitch, c’est vous ? Vous ?

Fraîche, vibrante, juvénile, la voix qui prononçait ces mots résonnait à nos oreilles comme une musique.

Nous ne voyions rien, mais soudain apparut à côté de nous une amazone, c’était Élisabeth Nikolaïevna accompagnée de son cavalier habituel. Elle arrêta sa monture.

— Venez, venez vite ! cria-t-elle gaiement, — je ne l’avais pas vu depuis douze ans et je l’ai reconnu, tandis que lui… Est-il possible que vous ne me reconnaissiez pas ?

Stépan Trophimovitch prit la main qu’elle lui tendait et la baisa pieusement. Il regarda la jeune fille avec une expression extatique, sans pouvoir proférer un mot.

— Il m’a reconnu et il est content ! Maurice Nikolaïévitch, il est enchanté de me voir ! Pourquoi donc n’êtes