Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/129

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l’autre. Ne m’accompagnez pas, Maurice Nikolaïévitch, je n’ai appelé que Zémirka. Grâce à Dieu, je sais encore marcher seule, et demain j’irai me promener.

Elle s’en alla fâchée.

— Antoine Lavrentiévitch, vous causerez pendant ce temps-là avec Maurice Nikolaïévitch ; je vous assure que vous gagnerez tous les deux à faire plus intimement connaissance ensemble, dit Lisa, et elle adressa un sourire amical au capitaine d’artillerie qui devint rayonnant lorsque le regard de la jeune fille se fixa sur lui. Faute de mieux, force me fut de dialoguer avec Maurice Nikolaïévitch.

II

À ma grande surprise, l’affaire qu’Élisabeth Nikolaïevna avait à traiter avec Chatoff était, en effet, exclusivement littéraire. Je ne sais pourquoi, mais je m’étais toujours figuré qu’elle l’avait fait venir pour quelque autre chose. Comme ils ne se cachaient pas de nous et causaient très haut, nous nous mîmes, Maurice Nikolaïévitch et moi, à écouter leur conversation, ensuite ils nous invitèrent à y prendre part. Il s’agissait d’un livre qu’Élisabeth Nikolaïevna jugeait utile, et que, depuis longtemps, elle se proposait de publier, mais, vu sa complète inexpérience, elle avait besoin d’un collaborateur. Je fus même frappé du sérieux avec lequel elle exposa son plan à Chatoff. « Sans doute elle est dans les idées nouvelles, pensai-je, ce n’est pas pour rien qu’elle a séjourné en Suisse. » Chatoff écoutait attentivement, les yeux fixés à terre, et ne remarquait pas du tout combien le projet dont on l’entretenait était peu en rapport avec les occupations ordinaires d’une jeune fille de la haute société.

Voici de quel genre était cette entreprise littéraire. Il paraît chez nous, tant dans la capitale qu’en province, une