Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/136

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— Pendant que j’étais en Suisse, Pierre Stépanovitch vous a désigné à moi comme un homme connaissant le métier d’imprimeur, et en état de diriger un établissement typographique. Il m’avait même donné un mot pour vous, mais je ne sais pas ce que j’en ai fait.

Chatoff, je me le rappelle maintenant, changea de visage. Au bout de quelques secondes, il sortit brusquement de la chambre.

Lisa se sentit prise de colère.

— Est-ce qu’il en va toujours ainsi ? me demanda-t-elle. Je haussai les épaules ; tout à coup Chatoff rentra, et alla droit à la table, sur laquelle il déposa le paquet de journaux qu’il avait pris avec lui :

— Je ne serai pas votre collaborateur, je n’ai pas le temps…

— Pourquoi donc ? Pourquoi donc ? Vous avez l’air fâché ? fit Lisa d’un ton affligé et suppliant.

Le son de cette voix parut produire une certaine impression sur Chatoff ; pendant quelques instants, il regarda fixement la jeune fille, comme s’il eût voulu pénétrer jusqu’au fond de son âme.

— N’importe, murmura-t-il presque tout bas, — je ne veux pas…

Et il se retira cette fois pour tout de bon. Lisa resta positivement consternée ; je ne comprenais même pas qu’un incident semblable pût l’affecter à ce point.

— C’est un homme singulièrement étrange ! observa d’une voix forte Maurice Nikolaïévitch.

III

Certes, oui, il était « étrange », mais dans tout cela il y avait bien du louche, bien des sous-entendus. Décidément, je ne croyais pas à la publication projetée ; ensuite la