Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Barbara Pétrovna est allée seule à la cathédrale, Daria Pavlona est restée dans sa chambre, elle ne se porte pas très-bien, répondit Alexis Égoritch avec la gravité compassée d’un domestique bien stylé.

Mon pauvre ami me lança encore un regard anxieux, cela finit par m’ennuyer à un tel point que je me tournai d’un autre côté. Soudain retentit le bruit d’une voiture s’approchant du perron, et un certain mouvement dans la maison nous avertit que la générale était de retour. Nous nous levâmes tous précipitamment, mais une nouvelle surprise nous était réservée : les pas nombreux que nous entendîmes prouvaient que Barbara Pétrovna n’était pas rentrée seule, et cela était déjà assez étrange, attendu qu’elle-même nous avait indiqué cette heure-là. Enfin nous perçûmes le bruit d’une marche extrêmement rapide, d’une sorte de course qui n’était nullement dans les habitudes de Barbara Pétrovna. Et tout à coup celle-ci, essoufflée, en proie à une agitation extraordinaire, fit irruption dans la chambre. Quelques instants après entra beaucoup plus tranquillement Élisabeth Nikolaïevna, tenant par la main — Marie Timoféievna Lébiadkine ! Si j’avais vu la chose en rêve, je n’y aurais pas cru.

Pour expliquer un fait si bizarre, il faut que je raconte une aventure singulière survenue une heure auparavant à Barbara Pétrovna, pendant qu’elle était à la cathédrale.

Je dois d’abord noter que presque toute la ville était à la messe ; quand je dis toute la ville, j’entends, comme bien on pense, les couches supérieures de notre société. On savait que la gouvernante s’y montrerait pour la première fois depuis son arrivée chez nous. Soit dit en passant, le bruit courait déjà qu’elle était libre penseuse et imbue des « nouveaux principes ». Nos dames n’ignoraient pas non plus que Julie Mikhaïlovna serait vêtue avec un luxe et une élégance extraordinaires ; aussi elles-mêmes faisaient-elles assaut de toilettes luxueuses et élégantes. Seule, Barbara Pétrovna était mise simplement, comme de coutume ; depuis quatre ans, elle s’habillait