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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/173

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prendre sa revanche. À présent, il est vrai, elle était souffrante, et la maladie la rendait toujours plus irritable. J’ajouterai enfin que notre présence dans le salon n’était pas faite pour imposer beaucoup de réserve aux deux camarades d’enfance et les empêcher de donner un libre cours à leurs ressentiments ; nous étions tous plus ou moins des clients, des inférieurs devant qui elles n’avaient pas à se gêner. Stépan Trophimovitch, resté debout depuis l’arrivée de Barbara Pétrovna, s’affaissa sur un siège en entendant crier Prascovie Ivanovna et me jeta un regard désespéré. Chatoff fit brusquement demi-tour sur sa chaise et bougonna à part soi. Je crois qu’il avait envie de s’en aller. Lise se leva à demi, mais se rassit aussitôt, sans même écouter comme elle l’aurait dû la semonce maternelle. Évidemment, ce n’était pas le fait d’un « caractère obstiné », mais d’une préoccupation exclusive sous l’influence de laquelle elle se trouvait alors. La jeune fille regardait vaguement en l’air et avait même cessé de faire attention à Marie Timoféievna.

III

— Aïe, ici ! fit Prascovie Ivanovna en indiquant un fauteuil près de la table, puis elle s’assit péniblement avec le secours de Maurice Nikolaïévitch ; sans ses jambes, matouchka, je ne m’assiérais pas chez vous ! ajouta-t-elle d’un ton fielleux.

Barbara Pétrovna leva un peu la tête, sa physionomie exprimait la souffrance ; elle appliqua les doigts de sa main droite contre sa tempe, où elle sentait évidemment un tic douloureux.

— Qu’est-ce que tu dis, Prascovie Ivanovna ? Pourquoi ne t’assiérais-tu pas chez moi ? Ton défunt mari m’a témoigné toute sa vie une sincère amitié ; toi et moi, à la pension, nous avons joué ensemble à la poupée, étant gamines.