Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/199

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— C’est nécessaire, il le faut, — ne cessait de dire le jeune homme debout devant le fauteuil sur lequel Barbara Pétrovna s’était rassise ; elle l’écoutait avidement ; il avait réussi à captiver toute l’attention de son interlocutrice.

— C’est nécessaire. Vous voyez vous-même, Barbara Pétrovna, qu’il y a ici un malentendu et que l’affaire paraît fort étrange, pourtant elle est claire comme une chandelle et simple comme le doigt. Je comprends très bien que personne ne m’a chargé de parler, et que j’ai l’air passablement ridicule quand je me mets ainsi en avant. Mais d’abord Nicolas Vsévolodovitch lui-même n’attache aucune importance à la chose, et enfin il y a des cas où l’intéressé se résout malaisément à donner une explication personnelle, il est plus facile à un tiers de raconter certaines particularités délicates. Croyez-le bien, Barbara Pétrovna, Nicolas Vsévolodovitch n’a aucun tort, quoiqu’il n’ait pas répondu à la question que vous lui avez adressée tout à l’heure. J’étais à Pétersbourg quand l’affaire s’est passée, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Bien plus, toute cette aventure ne peut que faire honneur à Nicolas Vsévolodovitch, s’il faut absolument employer un terme aussi vague que le mot « honneur »…

— Vous voulez dire que vous avez été témoin du fait qui a donné naissance à ce… malentendu ? demanda Barbara Pétrovna.

— J’en ai été témoin et j’y ai pris part, se hâta de répondre Pierre Stépanovitch.

— Si vous me donnez votre parole que cela ne blessera pas Nicolas Vsévolodovitch dans la délicatesse de ses sentiments pour moi à qui il ne cache rien… et si, en outre, vous êtes convaincu que par là vous lui ferez même plaisir…

— Certainement, et c’est pour cela que je tiens à parler. Je suis sûr que lui-même m’en prierait.

Ce monsieur tombé du ciel qui, de but en blanc, manifestait un si vif désir de raconter les affaires d’autrui, pouvait paraître assez étrange ; en tout cas, sa manière d’agir choquait les