Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/217

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offense pas de mes paroles, Stépan Trophimovitch, tu es l’homme de ton temps, je me place à un point de vue large et je ne te condamne pas ; si tu veux, je dirai même que cela te fait honneur, etc., etc. Mais il y a un autre point que je ne comprends pas et qui a plus d’importance. Il me parle de « péchés commis en Suisse ». Je me marie, dit-il, pour les péchés ou à cause des péchés d’un autre. Bref, il est question de péchés dans sa lettre. « La jeune fille, écrit-il, est une perle, un diamant », et, bien entendu, « il est indigne d’elle » — c’est son style ; mais, par suite de certains péchés commis là-bas ou de certaines circonstances, « il est forcé de subir le conjungo et d’aller en Suisse » ; puis la conclusion : « Plante-là tout et vient me sauver. » Comprenez-vous quelque chose à tout cela ? Mais, du reste, poursuivit Pierre Stépanovitch qui, la lettre à la main, considérait avec un innocent sourire les personnes présentes, — je m’aperçois, à l’expression des visages, que, selon mon habitude, je viens encore de faire une gaffe… c’est la faute de ma stupide franchise, ou, comme dit Nicolas Vsévolodovitch, de ma précipitation. Je pensais que nous étions ici entre nous, je veux dire, qu’il n’y avait ici que des amis, j’entends des amis à toi, Stépan Trophimovitch, car moi, je suis au fond un étranger, et je vois… je vois que tout le monde sait quelque chose dont moi j’ignore le premier mot.

Il regardait toujours l’assistance.

Livide, les traits altérés, les lèvres tremblantes, Barbara Pétrovna s’avança vers lui.

— Ainsi, demanda-t-elle, — Stépan Trophimovitch vous a écrit qu’il épousait « les péchés commis en Suisse par un autre » et il vous a prié de venir le « sauver », ce sont là ses expressions ?

— Voyez-vous, répondit d’un air effrayé Pierre Stépanovitch, — s’il y a là quelque chose que je n’ai pas compris, c’est sa faute, naturellement : pourquoi écrit-il ainsi ? Vous savez, Barbara Pétrovna, il barbouille du papier à la toise, dans ces deux ou trois derniers mois je recevais de lui lettres