Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/229

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d’un employé de l’État. À quoi l’on répliquait que la mission de Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas, à proprement parler, de caractère officiel, et que, pour un agent secret, le mieux était de ressembler le moins possible à un fonctionnaire public. Cette observation paraissait assez plausible ; on savait dans notre ville que le zemstvo[8] de la province était à Pétersbourg l’objet d’une attention particulière. Plusieurs des bruits que je viens de mentionner avaient leur origine dans certains propos obscurs, mais malveillants, tenus au club par Artémi Pétrovitch Gaganoff, ancien capitaine de la garde revenu depuis peu de la capitale. Cet Artémi Pétrovitch, un des plus grands propriétaires de notre province en même temps qu’un des hommes les plus répandus dans la société pétersbourgeoise, était le fils de feu Pierre Pavlovitch Gaganoff, ce respectable vieillard que Nicolas Vsévolodovitch avait si grossièrement insulté quatre ans auparavant.

Il fut bientôt de notoriété publique que Julie Mikhaïlovna avait fait une visite extraordinaire à Barbara Pétrovna, et que, sur le perron de la maison, on lui avait déclaré que la générale Stavroguine « étant malade ne pouvait la recevoir ». On sut aussi que, deux jours après, Julie Mikhaïlovna avait envoyé demander des nouvelles de la santé de Barbara Pétrovna. Finalement on la vit « défendre » partout cette dernière. Faisait-on devant elle quelque allusion à l’histoire du dimanche, sa mine devenait froide et sévère, si bien que, les jours suivants, personne n’osa plus mettre, en sa présence, la conversation sur ce sujet. Ainsi s’accrédita partout l’idée que non seulement Julie Mikhaïlovna n’ignorait rien de cette mystérieuse affaire, mais qu’elle en connaissait aussi le sens caché et qu’elle-même était pour quelque chose là dedans. Je noterai à ce propos que la gouvernante commençait à acquérir chez nous cette haute influence, but de tous