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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/255

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se mit à pousser des cris et se serra contre la vieille qui se hâta de l’emporter.

Kiriloff se releva, la balle en main.

— Stavroguine ? dit-il sans paraître aucunement surpris de cette visite inattendue. — Voulez-vous du thé ?

— Je ne refuse pas, s’il est chaud, répondit Nicolas Vsévolodovitch ; — Je suis tout trempé.

— Il est chaud, bouillant même, reprit avec satisfaction Kiriloff, — asseyez-vous ; vous êtes sale, cela ne fait rien ; tout à l’heure je mouillerai un torchon et je laverai le parquet.

Nicolas Vsévolodovitch s’assit et vida presque d’un seul trait la tasse de thé que lui avait versée l’ingénieur.

— Encore ? demanda celui-ci.

— Merci.

Kiriloff, qui jusqu’alors était resté debout, s’assit en face du visiteur.

— Qu’est-ce qui vous amène ? voulut-il savoir.

— Je suis venu pour affaire. Tenez, lisez cette lettre que j’ai reçue de Gaganoff ; vous vous rappelez, je vous ai parlé de lui à Pétersbourg.

Kiriloff prit la lettre, la lut, puis la posa sur la table et regarda son interlocuteur comme un homme qui attend une explication.

— Ainsi que vous le savez, commença Nicolas Vsévolodovitch, — j’ai rencontré il y a un mois à Pétersbourg ce Gaganoff que je n’avais jamais vu de ma vie. Trois fois le hasard nous a mis dans le monde en présence l’un de l’autre. Sans entrer en rapport avec moi, sans m’adresser la parole, il a trouvé moyen d’être très insolent. Je vous l’ai dit alors ; mais voici ce que vous ignorez : à la veille de quitter Pétersbourg d’où il est parti avant moi, il m’a tout à coup écrit une lettre, moins grossière que celle-ci, mais cependant des plus inconvenantes, et ce qu’il y a d’étrange, c’est que, dans cette lettre, il ne m’expliquait nullement à quel propos il m’écrivait ainsi. Je lui ai sur le champ répondu, par écrit aussi, et avec la plus grande franchise : je lui déclarais que