Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/269

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— Il y a du vrai et du faux dans votre manière de voir répondit Nicolas Vsévolodovitch sans se départir de son ton flegmatique et indifférent. — Certes, la fantaisie joue ici un grand rôle comme dans tous les cas semblables : le groupe exagère son importance. Si vous voulez, je dirai même qu’à mon avis il tient tout entier dans la personne de Pierre Verkhovensky. Ce dernier est vraiment trop bon de ne se considérer que comme l’agent de sa société. Du reste, l’idée fondamentale n’est pas plus bête que les autres du même genre. Ils sont en relation avec l’Internationale, ils ont réussi à recruter des adeptes en Russie, et ils ont même trouvé une manière assez originale… mais, bien entendu, c’est seulement théorique. Quant à ce qu’ils veulent faire ici, le mouvement de notre organisation russe est une chose si obscure et presque toujours si inattendue que, chez nous, on peut en effet tout entreprendre. Remarquez que Verkhovensky est un homme opiniâtre.

— Cette punaise, cet ignorant, ce sot qui ne comprend rien à la Russie ! protesta avec irritation Chatoff.

— Vous ne le connaissez pas bien. C’est vrai que tous, en général, ils ne comprennent guère la Russie, mais sous ce rapport, vous et moi, nous sommes à peine un peu plus intelligents qu’eux ; en outre Verkhovensky est un enthousiaste.

— Verkhovensky un enthousiaste ?

— Oh ! oui. Il y a un point où il cesse d’être un bouffon pour devenir un… demi-fou. Je vous prie de vous rappeler une de vos propres paroles : « Savez-vous comment un seul homme peut être fort ? » Ne riez pas, s’il vous plaît, il est très capable de presser la détente d’un pistolet. Ils sont persuadés que je suis aussi un mouchard. Comme ils ne savent pas mener leur affaire, ils ont une tendance à voir partout des espions.

— Mais vous n’avez pas peur ?

— N-non… Je n’ai pas fort peur… Mais votre cas est bien différent du mien. Je vous ai prévenu pour que vous vous