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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/292

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qu’elle a su que vous deviez venir, elle s’est empressée de faire toilette, reprit le capitaine ; en même temps il voulut esquisser un sourire jovial, mais il s’en tint à l’intention.

— Comment est-elle en général ? demanda Nicolas Vsévolodovitch dont les sourcils se froncèrent.

Le capitaine leva les épaules en signe de compassion.

— En général ? vous le savez vous-même, mais maintenant… maintenant elle se tire les cartes.

— Bien, plus tard ; d’abord il faut en finir avec vous.

Nicolas Vsévolodovitch s’assit sur une chaise.

Le capitaine n’osa pas s’asseoir sur le divan, il se hâta de prendre une autre chaise, et, anxieux, se prépara à entendre ce que Stavroguine avait à lui dire.

Soudain l’attention de celui-ci fut attirée par la table placée dans le coin.

— Qu’est-ce qu’il y a sous cette nappe ? demanda-t-il.

— Cela ? fit Lébiadkine en se retournant vers l’objet indiqué, — cela provient de vos libéralités : je voulais, pour ainsi dire, pendre ma crémaillère, et l’idée m’était venue aussi qu’après une si longue course vous auriez besoin de vous restaurer, acheva-t-il avec un petit rire ; puis il se leva, s’approcha tout doucement de la table et enleva la nappe avec précaution. Alors apparut une collation très proprement servie et offrant un coup d’œil fort agréable : il y avait là du jambon, du veau, des sardines, du fromage, un petit carafon verdâtre et une longue bouteille de bordeaux.

— C’est vous qui vous êtes occupé de cela ?

— Oui. Depuis hier je n’ai rien négligé pour faire honneur… Sur ce chapitre, vous le savez vous-même, Marie Timoféievna est fort indifférente. Mais, je le répète, tout cela provient de vos libéralités, tout cela est à vous, car vous êtes ici le maître, et moi, je ne suis en quelque sorte que votre employé ; néanmoins, Nicolas Vsévolodovitch, néanmoins, d’esprit je suis indépendant ! Ne m’enlevez pas ce dernier bien, le seul qui me reste ! ajouta-t- il d’un ton pathétique.