Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/304

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

soudain comme si elle eût senti son regard sur elle, ouvrit les yeux et se redressa vivement. Mais il est probable que le visiteur éprouvait lui-même une impression étrange : toujours debout près de la porte, il ne proférait pas un mot et ses yeux restaient obstinément fixés sur le visage de Marie Timoféievna. Peut-être avaient-ils quelque chose de particulièrement dur, peut-être exprimaient-ils le dégoût, même une joie maligne de la frayeur ressentie par la folle, ou bien cette dernière, mal éveillée, crut-elle seulement lire cela dans le regard de Nicolas Vsévolodovitch ? Quoi qu’il en soit, au bout d’un moment les traits de la pauvre femme prirent une expression de terreur extraordinaire ; des convulsions parcoururent son visage, elle leva les bras, les agita, et tout à coup fondit en larmes comme un enfant épouvanté ; encore un instant, et elle aurait crié. Mais le visiteur s’arracha à la contemplation, un brusque changement s’opéra dans sa physionomie, et ce fut avec le sourire le plus gracieux qu’il s’approcha de la table :

— Pardon, je vous ai fait peur, Marie Timoféievna, dit-il en lui tendant la main, — j’ai eu tort de venir vous surprendre ainsi au moment de votre réveil.

L’aménité de ce langage produisit son effet. La frayeur de Marie Timoféievna se dissipa, quoiqu’elle continuât à regarder Stavroguine avec appréhension, en faisant de visibles efforts pour comprendre. Elle tendit craintivement sa main. À la fin, un timide sourire se montra sur ses lèvres.

— Bonjour, prince, dit-elle à voix basse, tout en considérant d’un air étrange Nicolas Vsévolodovitch.

— Sans doute vous avez fait un mauvais rêve ? reprit-il avec un sourire de plus en plus aimable.

— Mais vous, comment savez-vous que j’ai rêvé _de cela ? _…

Et soudain son tremblement de tout à l’heure la ressaisit, elle se rejeta en arrière et leva le bras devant elle comme pour se protéger, peu s’en fallut qu’elle ne fondit de nouveau en larmes.