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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/341

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même comprend tout cela ; du moins elle m’en a terriblement raconté sur toi. Ce que j’ai ri, mon cher, en lisant les lettres que tu lui écrivais ! C’est vilain sans doute. Mais c’est que vous êtes si corrompus, si corrompus ! Il y a dans l’aumône quelque chose qui déprave à tout jamais, — tu en es un frappant exemple !

— Elle t’a montré mes lettres !

— Toutes. Sans cela, comment donc les aurais-je lues ? Oh ! combien de papier tu as noirci ! Je crois que j’ai bien vu là plus de deux mille lettres… Mais sais-tu, vieux ? Je pense qu’il y a eu un moment où elle t’aurait volontiers épousé. Tu as fort bêtement laissé échapper l’occasion ! Sans doute je parle en me plaçant à ton point de vue, mais après tout cela eût encore mieux valu que de consentir pour de l’argent à épouser les « péchés d’autrui ».

— Pour de l’argent ! Elle-même dit que c’était pour de l’argent ! fit douloureusement Stépan Trophimovitch.

— Et pour quoi donc aurait-ce été ? En lui disant cela, je t’ai défendu, car tu n’as pas d’autre excuse. Elle a compris elle-même qu’il te fallait de l’argent comme à tout le monde, et qu’à ce point de vue, dame ! tu avais raison. Je lui ai prouvé clair comme deux et deux font quatre, que vos relations étaient de part et d’autre fondées exclusivement sur l’intérêt : tu avais en elle une capitaliste, et elle avait en toi un bouffon sentimental. Du reste, ce n’est pas pour l’argent qu’elle est fâchée, quoique tu l’aies effrontément exploitée. Si elle t’en veut, c’est seulement parce que vingt années durant elle a cru en toi, parce que tu l’as prise au piège de ta prétendue noblesse et fait mentir pendant si longtemps. Elle n’avouera jamais qu’elle-même ait menti, mais tu n’en seras pas plus blanc, au contraire…Comment n’as-tu pas prévu qu’un jour ou l’autre il te faudrait régler tes comptes ? Tu n’étais pourtant pas sans quelque intelligence autrefois. Je lui ai conseillé hier de te mettre dans un hospice, sois tranquille, dans un établissement convenable, cela n’aura rien de blessant ; je crois qu’elle s’y décidera. Tu te rappelles