Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/366

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ne fit pas de résistance, et se laissa conduire vers la porte en se retournant pour considérer les pains de sucre que le jeune domestique portait derrière elle.

— Reprends-lui en un ! ordonna l’iourodivii à l’artelchtchik resté près de lui. Le laquais courut sur les pas de ceux qui venaient de sortir, et, quelque temps après, les trois domestiques revinrent, rapportant un des pains de sucre qui avaient été donnés à la veuve ; les trois autres demeurèrent en sa possession.

— Sémen Iakovlévitch, pourquoi donc ne m’avez-vous rien répondu ? il y a si longtemps que vous m’intéressez, dit celle de nos dames qui avait déjà pris la parole.

Le bienheureux ne l’écouta point, et s’adressa au moine de notre monastère :

— Interroge-le ! ordonna-t-il en lui montrant le propriétaire agenouillé.

Le moine s’approcha gravement du propriétaire.

— Quelle faute avez-vous commise ? Ne vous avait-on pas ordonné quelque chose ?

— De ne pas me battre, de m’abstenir de voies de fait, répondit d’une voix enrouée l’interpellé.

— Avez-vous obéi à cet ordre ? reprit le moine.

— Je ne puis pas ; c’est plus fort que moi.

Sémen Iakovlévitch agita les bras.

— Chasse-le, chasse-le ! Mets-le à la porte avec un balai !

Sans attendre que les faits suivissent les paroles, le propriétaire s’empressa de détaler.

— Il a laissé une pièce d’or à l’endroit où il était, dit le moine en ramassant sur le parquet une demi-impériale.

— Voilà à qui il faut la donner, fit Sémen Iakovlévitch ; et il indiqua du geste le riche marchand, qui n’osa pas refuser ce don.

— L’eau va toujours à la rivière, ne put s’empêcher d’observer le moine.

— À celui-ci du thé sucré, ordonna brusquement Sémen Iakovlévitch en montrant Maurice Nikolaïévitch.