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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/368

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grand corps dégingandé et son visage d’un sérieux imperturbable, il était fort drôle ; cependant aucun de nous ne rit ; au contraire, ce spectacle inattendu produisit une sensation de malaise. Tous les yeux se tournèrent vers Lisa.

— Esprit-Saint, Esprit-Saint ! murmura Sémen Iakovlévitch.

Lisa pâlit tout à coup, poussa un cri, et s’élança de l’autre côté du treillage. Là eut lieu une subite scène d’hystérie : la jeune fille saisit Maurice Nikolaïévitch par les avant-bras et le tira de toutes ses forces pour le relever.

— Levez-vous ! levez-vous ! criait-elle comme hors d’elle-même. Levez-vous tout de suite ! Comment avez-vous osé vous mettre à genoux ?

Maurice Nikolaïévitch obéit. Elle lui empoigna les bras au-dessus du coude, et le regarda en plein visage avec une expression de frayeur.

— Charmante société ! Charmante société ! répéta encore une fois le fou.

Lisa ramena enfin Maurice Nikolaïévitch dans l’autre partie de la chambre. Toute notre société était fort agitée. La dame dont j’ai déjà parlé voulut sans doute tenter une diversion, et, pour la troisième fois, s’adressa en minaudant à l’iourodivii :

— Eh bien, Sémen Iakovlévitch, est-ce que vous ne me direz pas quelque chose ? Je comptais tant sur vous.

— Va te faire f… ! lui répondit le bienheureux.

Ces mots, prononcés très distinctement et avec un accent de colère, provoquèrent chez les hommes un rire homérique ; quant aux dames, elles s’enfuirent en poussant de petits cris effarouchés. Ainsi se termina notre visite à Sémen Iakovlévitch.

Si je l’ai racontée avec tant de détails, c’est surtout, je l’avoue, à cause d’un incident très énigmatique qui se serait produit, dit-on, au moment de la sortie.

Tandis que tous se retiraient précipitamment, Lisa, qui donnait le bras à Maurice Nikolaïévitch, se rencontra soudain dans l’obscurité du corridor avec Nicolas Vsévolodovitc