Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/57

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s’amourachera de toi, je le sais. Et puis, moi-même je serai là. Ne t’inquiète pas, je serai toujours là. Il se plaindra de toi, il te calomniera, il racontera au premier venu tes prétendus torts envers lui, il geindra continuellement ; habitant la même maison que toi, il t’écrira des lettres, parfois deux dans la même journée, mais il ne pourra se passer de toi, et c’est l’essentiel. Fais-toi obéir ; si tu ne sais pas lui imposer ta volonté, tu seras une imbécile. Il menacera de se pendre, ne fais pas attention à cela : dans sa bouche de telles menaces ne signifient rien. Mais, sans les prendre au sérieux, ne laisse pas cependant d’ouvrir l’œil. À un moment donné il pourrait se pendre en effet : de pareilles gens se suicident, non parce qu’ils sont forts, mais parce qu’ils sont faibles. Aussi ne le pousse jamais à bout, c’est la première règle dans un ménage. Rappelle-toi en outre que Stépan Trophimovitch est un poète. Écoute, Dacha : il n’y a pas de bonheur qui l’emporte sur le sacrifice de soi-même. Et puis tu me feras un grand plaisir, et c’est là l’important. Ne prends pas ce mot pour une naïveté que j’aurais laissé échapper par mégarde ; je comprends ce que je dis. Je suis égoïste, sois-le aussi. Je ne te force pas, tout dépend de toi, il sera fait comme tu l’auras décidé. Eh bien, parle !

— Cela m’est égal, Barbara Pétrovna, s’il faut absolument que je me marie, répondit Dacha d’un ton ferme.

— Absolument ? À quoi fais-tu allusion ? demanda la générale en attachant sur elle un regard sévère.

La jeune fille resta silencieuse.

— Quoique tu sois intelligente, tu viens de dire une sottise. Il est vrai, en effet, que je tiens absolument à te marier, mais ce n’est pas par nécessité, c’est seulement parce que cette idée m’est venue, et je ne veux te faire épouser que Stépan Trophimovitch. Si je n’avais pas ce parti en vue pour toi, je ne penserais pas à te marier tout de suite, quoique tu aies déjà vingt ans… Eh bien ?

— Je ferai ce qu’il vous plaira, Barbara Pétrovna.

— Alors tu consens ! Attends, tais-toi, où vas-tu donc ? je n’ai