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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/61

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chez Barbara Pétrovna, l’extérieur agréable de son ancienne élève le frappa tout à coup ; Dacha avait alors dix-sept ans. Il engagea la conversation avec elle, fut satisfait de ses réponses, et finit par proposer de lui faire un cours d’histoire de la littérature russe. Barbara Pétrovna le remercia de cette idée qu’elle trouvait fort louable. La jeune fille fut enchantée. La première leçon eut lieu en présence de la générale. Elle avait été préparée avec le plus grand soin, et le professeur réussit à intéresser vivement ses auditrices. Mais quand, ayant terminé, il annonça le sujet qu’il traiterait la fois prochaine, Barbara Pétrovna se leva brusquement et déclara qu’il n’y aurait plus de leçons. La mine de Stépan Trophimovitch s’allongea, toutefois il ne répondit rien. Dacha rougit. Ainsi prit fin le cours d’histoire de la littérature russe. Ce fut juste trois ans après que vint à l’esprit de Barbara Pétrovna l’étrange fantaisie matrimoniale dont il est question en ce moment.

Le pauvre Stépan Trophimovitch était seul dans son logis et ne se doutait de rien. En proie à la mélancolie, il regardait de temps à autre par la fenêtre, espérant voir arriver quelqu’une de ses connaissances. Mais il n’apercevait personne. Au dehors, il bruinait, le froid commençait à se faire sentir ; il fallait chauffer le poêle ; Stépan Trophimovitch soupira. Soudain une vision terrible s’offrit à ses yeux : par un temps pareil, à une heure aussi indue, Barbara Pétrovna venait chez lui ! Et à pied ! Dans sa stupeur, il oublia même de changer de costume et la reçut vêtu de la camisole rose ouatée qu’il portait habituellement.

— Ma bonne amie !… s’exclama-t-il d’une voix faible, en voyant entrer la générale.

— Vous êtes seul, j’en suis bien aise ; je ne puis pas souffrir vos amis ! Comme vous fumez toujours ! Seigneur, quelle atmosphère ! Vous n’avez pas encore fini de prendre votre thé, et il est plus de midi ! Vous trouvez votre bonheur dans le désordre, vous vous complaisez dans la saleté ! Qu’est-ce que c’est que ces papiers déchirés qui jonchent le parquet ? Nastasia, Nastasia ! Que fait votre Nastasia ? matouchka,